Bon, je sais qu’on est sur un site spécialisé dans les RPG, et que par-là nous ne devrions parler que de RPG, mais cela ne veut pas dire que nous autres, à la rédaction, ne jouons qu’à ça. Enfin, c’est du moins mon cas. Et parfois, on tombe sur des perles, des jeux tellement bons, tellement audacieux et tellement réussis qu’il faut en parler.

C’est la raison pour laquelle j’ai aujourd’hui décidé de m’accorder un petit hors-sujet, avec ce double mini-test de deux titres. Pourquoi deux ? Pourquoi minis ? Un, parce que j’ai tendance à associer ces deux titres pour des raisons diverses : leur parti-pris fort, leur statut d’indépendant, leur audace et leur réussite, tant dans leur concept que dans leur exécution, mais aussi parce que ce sont des titres boudés par beaucoup de gens, soit parce qu’ils n’ont pas la lumière qu’ils méritent, mais aussi parce qu’ils ont un potentiel aridité assez élevé. Et deux, parce que ce sont deux jeux qui reposent essentiellement sur leur intrigue et sur le fait de ne pas dévoiler trop de choses. Ces deux tests vont donc être assez courts, du moins je le pense.

Je n’ai pas ici la prétention d’avoir une énorme portée avec ce papier, loin de là, mais si je peux faire découvrir ou donner l’envie de jouer à ces titres à l’un d’entre vous, j’aurai déjà atteint mon objectif. Donc aujourd’hui, on va parler de Outer Wilds et de Return of the Obra Dinn. Et on va commencer par ce dernier.

RETURN OF THE OBRA DINN

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Ce titre sorti sur PC le 18 Octobre 2018, a fait son arrivée sur consoles de salon et sur Switch pile un an plus tard, le 18 Octobre 2019. Le jeu est le second titre de Lucas Pope, l’incroyable créateur déjà à l’origine de Papers, Please, un autre titre indé sorti en 2013. Et là commence tout l’exploit : à l’image de Papers, Please, Return of the Obra Dinn est l’œuvre d’un seul homme, des graphismes à l’écriture, en passant par la bande-originale et au gameplay. Le tout permet une cohérence et une maîtrise assez rare sur tous les aspects du jeu.

Return of the Obra Dinn vous met dans la peau d’une inspectrice (ou d’un inspecteur) en assurances pour la Compagnie des Indes Orientales en 1807 chargée de mener l’enquête sur le navire Obra Dinn, disparu quelques années plus tôt et mystérieusement réapparu, totalement vide. À vous donc la charge de mettre en lumière les événements qui se sont déroulés sur le vaisseau, et de comprendre tous les tenants et les aboutissants de la disparition du bateau et de tout son équipage. Rapidement, vous vous retrouverez dotée d’une montre à gousset particulière puisqu’elle a le pouvoir de vous faire revivre la scène de mort de la personne dont vous retrouverez le cadavre.

Voilà pour le pitch de départ.

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Le début d’une grande aventure

Déjà, ce qui frappe quand on lance le jeu, c’est bien évidemment l’aspect graphique. Radical, monochrome et épuré, il permet de tout de suite donner une identité forte au jeu. S’il est possible de changer la couleur du visuel, rien ne viendra jamais entacher cette direction artistique unique, et qui, malgré tout, permet des plans mémorables. Même si de loin on pourrait croire que de tels graphismes nuisent à la lisibilité du jeu, sa composition globale dément cette affirmation. Même si les visages manquent clairement de détails, c’est surtout dans la tenue, la posture ou les autres signes distinctifs des personnages que nous serons à même de les reconnaître.

Concernant la musique, elle est plus que correcte : correspondant bien à l’ambiance générale du titre, elle permet de pleinement s’immerger dans cet univers de pirates, de mystères et de tout le reste, que je prendrai bien soin de ne pas dévoiler ici.

Maintenant, venons-en au gros morceau : le gameplay. Profondément lié à l’histoire, vous devrez dans Return of the Obra Dinn utiliser cette fameuse montre à gousset magique pour revivre l’instant de la mort des cadavres que vous trouverez sur le navire. Si, dit comme cela, le tout peut sembler original, voire un peu grotesque, c’est en réalité très original, assez bien amené et maîtrisé à l’extrême : souvent introduites par quelques lignes de dialogues, les scènes de mort sont proprement magnifiques. On se retrouve face à des tableaux tout en trois dimensions : les corps sont figés en mouvement, et libre à vous d’arpenter ce petit coin du bateau pour encadrer tous les visages, toutes les situations, tous les petits détails. Magnifiquement composées, ces scènes sont très profondes, calculées à l’extrême et, je le répète, parfaitement maîtrisées : chaque détail a son importance et peut aider à sa façon à faire avancer l’enquête. Enquête qui se traduira par trouver le nom de chaque visage, la mort associée à ce dernier, ainsi que sa cause. Le tout sera représenté dans un carnet que vous récupérez en tout début de jeu, et qui sera votre meilleur (et seul, en fait) ami dans le titre : doté d’un plan du navire qui vous aidera à retrouver la localisation des cadavres, d’une petite introduction à l’enquête, d’une carte du voyage supposé du vaisseau ainsi que de quelques représentations de l’équipage, afin non seulement de vous donner une vue d’ensemble de ce dernier, mais également de vous donner quelques indices, comme par exemple les rôles de certains visages de l’équipage. Plus anecdotique pour certains, vous aurez également à disposition un index en toute fin de carnet, afin de savoir exactement de quoi on parle quand on évoque certains termes marins.

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La montre, ainsi qu’un cadavre sur lequel l’utiliser

C’est dans ces tableaux que vous verrez quel sera le sort de chacun des personnages, ou presque. Le jeu se divise plus ou moins en deux parties distinctes. La première, la plus courte, pendant laquelle vous arpenterez le navire à la recherche des cadavres vous donnant accès aux différentes scènes : la phase de découverte de l’histoire, des « épisodes », de la chronologie de l’aventure de l’Obra Dinn, d’une façon que je ne dévoilerai pas, tout comme je ne dévoilerai pas la nature de l’intrigue, assez prévisible mais néanmoins prenante, et que ne renierai pas un certain auteur américain très à la mode depuis quelque temps.

La seconde partie du jeu, celle qui vous prendra le plus de temps, est celle de la véritable enquête. S’il est possible d’élucider le sort de quelques-uns des personnages rencontrés dans les différentes scènes, le plus gros du jeu vous demandera pas mal de logique, de déduction, parfois un peu de hasard il est vrai, mais le tout est diablement addictif, bien fichu et agréable à prendre en main. Le jeu est bourré de ces moments où on se dit « mais bien sûr, c’était ça ! ». Et si quelques-uns des passagers du navire connaissent un sort assez étrange et difficile à élucider, l’écrasante majorité est facilement trouvable, pour peu que vous fassiez quelques efforts et que vous fassiez bien attention au monde qui vous entoure.

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La fameuse photo du carnet, vous montrant une vue d’ensemble de l’équipage

En bref, si Obra Dinn est une telle réussite, c’est parce que tous ses éléments s’imbriquent parfaitement les uns dans les autres : la musique, les graphismes, et tous les éléments de gameplay, qu’il s’agisse de ces tableaux en trois dimensions absolument magnifiques et offrant parfois des plans dantesques, ou dans son système de reconnaissance des visages vous ramenant à la photo de l’équipage. La déduction des noms, des postes et des décès se fait toujours assez naturellement, et c’est un véritable plaisir de capter le jingle indiquant une réussite. Je ne veux pas trop en dire sur le titre car le plaisir de la découverte est immense. Malheureusement, de par sa nature, la rejouabilité est quasiment inexistante, à moins que vous n’ayez une mémoire de poisson rouge, ce qui pour le coup, pourrait se révéler être une chance.

+ Un jeu unique au parti-pris fort qui fonctionne parfaitement.
+ Une musique qui colle très bien à l’ambiance générale du jeu.
+ L’œuvre d’un seul homme.
+ Le plaisir de mener l’enquête et de découvrir un à un les sorts de la quelque soixantaine de personnages.

– L’aspect graphique peut en rebuter plus d’un.
– Le principe même du jeu peut impressionner au premier abord, et être difficile pour certaines personnes.

Sans transition, et parce que la véritable conclusion arrivera après, passons maintenant à l’autre titre dont je voulais parler, à savoir Outer Wilds.

OUTER WILDS

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Outer Wilds est donc un titre sorti le 29 Mai 2019 sur Epic Games Store, le 30 Mai 2019 sur Xbox One, le 15 Octobre 2019 sur PS4 et enfin le 18 Juin 2020 sur Steam, après une année d’exclusivité Epic (*grognements*). Il est développé par Moebius Digital (petit studio de développement créé par Masi Oka, acteur ayant entre autres joué dans Heroes et un petit rôle dans Scrubs), et édité par Annapurna Interactive, décidément toujours bien câblé pour détecter les excellents jeux. À l’origine un titre étudiant, sujet de mémoire de maîtrise pour un certain Alex Beachum, sa réussite a poussé ce dernier à aller beaucoup plus loin que ce qui était prévu afin d’en faire un véritable jeu complet commercialisé.

Inspiré par les grands noms de la science-fiction comme le sempiternel 2001 : l’Odyssée de l’Espace, Outer Wilds se présente comme un titre en monde ouvert permettant au joueur, dans la peau d’un petit extraterrestre à quatre yeux, de parcourir son système solaire et d’explorer les planètes qui s’y trouvent.

Et je vais vous le dire tout de suite : d’abord, ce test sera, comme le précédent, assez court, pour presque les mêmes raisons, à savoir l’impossibilité de trop en dire pour garder au maximum la surprise. Ensuite, je pense très sincèrement que nous tenons ici l’un des tous meilleurs titres de ces dix dernières années, rien que ça.

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Le premier décollage, le début d’une autre grande aventure

Outer Wilds commence sur la petite planète d’Âtrebois sur laquelle vit l’espèce d’extraterrestres à laquelle vous appartenez, et visiblement l’une des rares espèces vivantes de tout le système solaire. Très vite, vous apprenez qu’après un certain temps passé à vous entraîner, c’est aujourd’hui votre dernier jour sur la planète, puisque vous allez embarquer dans votre petit vaisseau afin de partir explorer l’espace, à l’image des quelques membres de l’initiative Odyssée, dont plusieurs membres ont disparu. Mais pourquoi partir explorer l’espace, alors que votre petite planète est un lieu parfaitement confortable ? Tout simplement parce que les différentes planètes du système abritent des ruines Nomaï, une espèce extra-terrestre aujourd’hui disparue. On n’en connaît pas la raison, on ne connaît même pas vraiment leur apparence, et on ne sait pas vraiment ce qu’ils faisaient dans la vie. Il sera alors de votre devoir de mener l’enquête (là aussi), et de pourquoi pas, retrouver les membres disparus de l’initiative.

Mais voilà le twist : toutes les 22 minutes, le soleil du système implose et emporte avec lui tout ce qui se trouve aux alentours, vous tuant inexorablement. Fort heureusement, et pour des raisons mystérieuses, un échange bizarre avec une statue Nomaï fraîchement retrouvée vous ramène inexplicablement à la vie au début de la boucle, c’est-à-dire au début de la journée du grand départ. Si les références à Un Jour Sans Fin et autres œuvres du genre, sont évidentes et ont déjà été faites un nombre incalculable de fois, ce n’est pas sans raison : par cette mécanique de boucle temporelle répétée à l’infini, Outer Wilds permet de reproduire sans cesse les mêmes actions dans son monde en vase clos. Tout ce que vous pouvez potentiellement rater, vous pourrez le retrouver à la run suivante. Par-là, le jeu permet de s’ouvrir à un public assez large : comme rien n’a véritablement de conséquence à long terme, tout est permis, et vous pouvez prendre autant de temps que vous le souhaitez.

Après avoir donc récupéré les codes nécessaires au lancement de votre fusée, vous pouvez partir dans l’espace, aller explorer la quelque demi-douzaine de planétoïdes que le titre offre. Mais avant cela, vous passerez forcément par le musée d’Âtrebois. Si rien ne vous oblige à en faire véritablement le tour, il est en réalité conseillé de s’attarder pour voir ce qui y est exposé : en effet, le musée propose un condensé de tout ce que vous pourrez trouver dans Outer Wilds, tous les obstacles, toutes les situations. Si le jeu offre bien évidemment quantité de variations à ceci, le jeu vous donne dès le début toutes les armes pour appréhender l’univers, et c’est un très bon point. Il y aura encore deux autres mécaniques disponibles sur la planète, et vous serez fins prêts pour partir à l’aventure.

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La carte du système disponible dans l’ordinateur du vaisseau

Mais où commencer, me direz-vous ? On pourrait en effet se sentir perdu tant Outer Wilds se révèle ouvert et totalement libre dans sa progression. C’est là qu’intervient le système de rumeurs : sur votre petit vaisseau, vous aurez la possibilité de vous servir d’un petit ordinateur recensant toutes les connaissances acquises, aidant à avoir une vue d’ensemble sur votre « progression », et également d’avoir accès à ce que vous avez entendu, vu ou compris, et de vous donner des indices sur la marche à suivre ensuite. Libre à vous de suivre ces rumeurs ou de partir à l’aveuglette totale et d’explorer les planètes comme bon vous semble.

Et des planètes, parlons-en : réduites en nombre, elles sont néanmoins de petits bijoux de conception. Toutes différentes dans leurs principes et leur taille, elles permettent toujours d’offrir une exploration très ludique, très agréable. Bien entendu, certains événements ne sont disponibles qu’à un certain moment de la run, ce qui vous obligera à être présent au bon moment si vous voulez y assister. Je ne vais pas trop en dire, mais sachez que certaines planètes offrent des panoramas uniques et mémorables, et que le jeu en vaut la chandelle.

Concernant l’aspect graphique du titre, on est en face de quelque chose de beaucoup plus passe-partout que sur Obra Dinn. Le jeu, réalisé avec le moteur Unity, est très joli, mais n’offre pas quoi que ce soit de véritablement scotchant: on n’est pas en face d’une vitrine technique. C’est plus par la direction artistique et les compositions que le jeu peut parfois émerveiller, à l’image du soleil qui passe par toutes les phases de supernova, changeant à la fois de forme et de couleur, avant d’inexorablement imploser pour engloutir toute vie.

Pour la musique, elle est ici beaucoup plus marquante : composée par Andrew Prahlow et dotée d’un véritable thème récurrent, elle sait se faire discrète ou audible quand il le faut. Je ne peux pas vous le dire parce que ce serait dévoiler un pan de l’intrigue, mais elle sait parfois intervenir à des moments d’une cohérence folle, comme quand vous posez les yeux sur un élément en particulier.

Vous l’aurez compris, Outer Wilds propose d’excellentes idées, servies par un contexte de boucle temporelle qui, si je ne peux pas le développer bien plus ici pour ne pas trop en dire, est vraiment très bien géré. Mais la chose qui marque le plus dans Outer Wilds, c’est bien le fait que le jeu entier repose sur la connaissance du joueur. Rien n’est bloqué dans Outer Wilds, rien n’est inaccessible si vous n’avez pas le bon outil. Le monde est ici ouvert dans son sens le plus pur. Vous êtes simplement lâchés dans un monde que vous ne connaissez pas (et que votre personnage ne connaît pas non plus, ce qui permet un joli pied de nez au cliché de l’amnésie) et dont vous devrez découvrir tous les aspects, pour en comprendre le but, la finalité, que je ne vous dévoilerai pas non plus, puisqu’il n’apparaît qu’au bout de quelques heures de jeu. Tout repose donc sur la connaissance, ce qui pourrait dans l’absolu permettre de finir le jeu en une seule run. Dans les faits, et lors d’une première partie, le jeu vous demandera entre 15 et 20 heures pour tout comprendre et essayer de remplir au mieux le système de rumeurs.

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Le fameux “Big Daddy de l’espace” dont beaucoup de gens ont entendu parler

Difficile d’en dire plus sans gâcher l’expérience, mais Outer Wilds est véritablement un titre marquant et important pour le jeu-vidéo. À l’image d’autres titres comme Dark Souls, Control ou même Return of the Obra Dinn, le jeu embrasse pleinement sa situation de jeu-vidéo et en exploite tous les aspects d’une main de maître. Si une fois que vous avez vu la fin du titre, vous n’êtes pas impressionnés, alors je ne sais pas ce qu’il vous faut.

Parfois, on ne peut qu’être impressionné par le talent et la créativité de notre média. Parfois, certains titres marquent, font date, deviennent des références. Bien que je ne souhaite pas voir les concepts de Return of the Obra Dinn et d’Outer Wilds réutilisés et déclinés à l’extrême, je chéris ces deux titres. Ils montrent que même avec une exploitation de masse et une course aux chiffres toujours plus effrénée, certaines personnes au talent exceptionnel savent sortir la tête de l’eau et mettre au point des projets aussi ambitieux que profonds, et les sortir dans un état maîtrisé de bout en bout. Je ne saurais que trop vous conseiller ces deux titres. En tout cas, de mon côté, je ne peux que me sentir petit face à de telles œuvres, et elles feront date au moins dans mon esprit.

+ Un jeu unique avec un concept original et exploité d’une main de maître.
+ Une ambiance travaillée et très réussie.
+ Le fait que le jeu n’impose pas vraiment de rythme au joueur, le laissant choisir ses propres objectifs.
+ La liberté en général.
+ La musique d’Andrew Prahlow.

– Comme pour Obra Dinn, le concept peut rebuter.
– Le fait de devoir revivre les mêmes événements peut lasser, voire dégoûter.
– La difficulté peut rebuter.
– Une rejouabilité inexistante
.

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Zemymy

Bravo Vincent pour cet article passionnant qui donne bien envie. Je pense que nous serons plusieurs à trouver que tu as su transmettre ta passion pour ces deux jeux. Chapeau bas aux créateurs également. Merci !

Killpower

Ouai, joli boulot Vincent. Mais attention, faudra pas que cela se reproduise les hors-sujets ! Enfin pas trop souvent !