vendredi, avril 26, 2024

Anthem

Ce test a été écrit et publié à l’origine le 25 février 2020 sur le site RPGFrance
par son auteur Marcheur. Avec son aimable autorisation.

NOTES FINALES

Note de l'auteur
5
Note RPG
4

Anthem est un accident industriel, il n’y a pas d’autres mots. La communication passée, sa sortie a été chaotique, vu le format du titre et sa dimension “connectée” et “vivante” on était en droit d’attendre une refonte complète du titre. Elle a désormais été annoncée, Anthem 2.0, quelque soit la forme et les changements qui arrivent, existera bel et bien. Une part de moi (non négligeable, j’en conviendrai) considère qu’Anthem ne mérite pas de rentrer sur RPG France, mais une autre a une considération et une pensée pour ce qu’a été Bioware et ce qu’est encore (un peu) Anthem.

Alors oui, on va parler du jeu sous sa forme actuelle et on va probablement en reparler à l’avenir, car si Anthem est un défaut en soit, il a pour lui certaines choses qui en font un projet qui mérite un ravalement de façade. Voici le test d’Anthem 1.6, parce que même si ce test est amené à périmer – si à l’avenir le jeu devient bien meilleur – on pourra trouver une autre trace de ce qu’il a été. Il est plus que jamais vital pour cette industrie de se rappeler ce que son empressement et sa soif continuelle et permanente de monétisation avant la qualité, finit par causer, même s’il y a des choses à sauver de cette catastrophe.

L’hymne de la création

Qu’est-ce qu’Anthem ? Je ne sais pas. Mais Bioware non plus, à vrai dire. Sarah Schachner a trouvé une bien plus belle réponse à cette question que toutes les justifications du studio : Anthem, c’est sa musique, le reste est autre chose, avec un nom qui ne dit rien du projet. À l’origine surnommé “Projet Dylan” puis “Beyond”, Anthem sonnait plus vendeur auprès de EA.

Rien que ça devrait vous poser le contexte : Anthem est un merdier, un merdier monstre. En gestation depuis la sortie de Mass Effect 3Bioware se sont posés de multiples questions : on s’influence de quoi ? On fait quoi ? RPG ou jeu d’action ? Jeu de survie ? Le nom de Shadow of the Colossus ressort des discussions, le thème de la survie, de se sentir écrasé par nos adversaires et par l’environnement… Le tout avec des personnages capable de s’envoler comme Iron Man, sur fond d’un univers de Science Fantasy avec diverses factions, des cultures différentes, une faune et une flore un peu créative… Bref.

Anthem dans la tête de Bioware, ça devait être dingue. Le problème, c’est que sans tête pensante pour donner une vision et de la cohérence à ce beau rêve, tout est un peu flou. Alors ça prototype ici et là, mais ça va pas bien loin. Cela va même si peu loin, qu’à la fin de l’année 2016, EA vient demander des nouvelles en mode :

“Alors ! Me revoilà assez vite !”

Anthem 004

Et Bioware, tout bégayant d’avoir du mal à finaliser Mass Effect Andromeda en essayant d’en faire un jeu d’action compétent faute d’être un bon RPG, montre à EA un prototype du projet Beyond.
Et ça se passe assez mal, parce que à part la mécanique de vol, EA n’est pas convaincu du tout par le prototype. C’est alors que le responsable passant par là, ordonne à Bioware de se sortir les doigts du cul et appelle en urgence les équipes derrière Mass Effect Andromeda pour prêter main forte, réduisant l’effectif dudit jeu drastiquement, pourtant alors en fin de développement.

Alors pendant quelques mois, Bioware bosse d’arrache pied pour préparer quelque chose de montrable à l’E3 2017, et un peu avant ce dernier, rien ne fonctionne vraiment, donc la bonne vieille technique de la vidéo de présentation bidonnée et scriptée (jusqu’à l’absurde) ressort du chapeau. Et l’annonce est bien accueillie, c’est super joli, presque comme un jeu de prochaine génération, ça a l’air intéressant à jouer, original et très vivant.

Sauf qu’en interne rien n’est très avancé. Et il faudra attendre seulement février 2019 pour voir le jeu, un développement qui aura donc pris environ deux ans, voire un peu moins vu que l’effectif ne fut complet qu’après la sortie de Masse Infecte : Andromeda.
On aimerait pouvoir accuser EA de tous les maux de la planète mais… Enfin, Bioware ont carrément merdé sur le projet Dylan, disons le, cinq ans à rêver et fantasmer un projet, c’est très bien, mais à un moment donné, il faut prendre des décisions. Les coupables d’Anthem, c’est les deux, pas un, pas l’autre, les deux, et personne n’est excusable pour ce qu’il s’est produit.

Par contre… Les équipes qui ont taffé sur le jeu ont tout mon respect, même si c’est paradoxal vu que je qualifie le jeu d’accident industriel, mais il y a de la nuance dans cette formule, vu qu’elle est à prendre au sens de “d’accident industriel”, parce que ce qui a merdé, c’est les conditions de développement, pas le talent des équipes, qui ont finalement réussi pas mal de choses en peu de temps.

Anthem 005

Un javelin rutilant

Si on ne peut attaquer Anthem sur sa plastique, c’est probablement grâce à l’aide de Dice qui sont venus chez Bioware pour les aider à mieux maîtriser le moteur Frostbite. Pour un monde ouvert dans lequel le joueur a pas mal de libertés de déplacement grâce au Javelin, Anthem n’est pas juste beau, il est superbe. Avec ses larges environnements boisés, ses effets visuels impressionnants, et son streaming assez remarquable rendant l’apparition tardive des éléments à l’écran presque imperceptible, le titre dégage une belle plastique. L’ennui de cette plastique c’est que si elle se montre suffisamment détaillée pour être crédible et affiche une belle palette de couleurs bien vives, il n’y a que peu de vie qui s’en dégage.

Pour tout dire, le peu de créatures pacifiques qui s’y présentent n’ont que peu de routines d’animations. Il n’y a pas de système de gestion du temps, donc pas de cycle jour/nuit, les précipitations sont conditionnées à des événements, et c’est finalement sous l’eau que l’on trouve le plus un sentiment de vie. Le pire étant probablement le seul environnement urbain du jeu, rempli de personnages qui ne font rien d’autres que parfois parler, parfois donner des missions, mais le plus souvent… Juste servir de décor assez laid.

Parce que oui, si les modélisations sont tout à fait correctes, elles ne sont pas à la hauteur du visuel au global, et si l’on remarquera vite les animations de notre personnage par leur nervosité, on ne pourra que noter un travail au mieux honnête pour les autres personnages non joueurs.
Mais le pire est probablement le rendu haché, découpé, des animations des ennemis en combat. Un défaut qui ne réduit pas forcément l’impact des affrontements, mais réduit sensiblement la puissance ressentie de nos ennemis, dommage.

Pour ce qui est du son, par contre, là c’est un sans faute. Avec le soutien de Dice, on pouvait être certain que les bruitages allaient envoyer du bois : on ne s’y est clairement pas trompé, fort de son expérience sur BattlefieldDice ont réussi à aider Bioware au point où le son d’Anthem se tient parmi les meilleurs résultats du jeu vidéo. Bien sûr, on trouvera bien ici où là une synchronisation un peu chaotique, mais le rendu général reste saisissant. Les doublages sont eux aussi très convainquants, avec un casting réussi, qui souffre cela dit d’un manque de conviction qui peut se révéler anti-immersif, mais ce n’est pas tant la faute des comédiens de doublage que du script très limite qu’ils doivent interpréter.

Mais tout ça ne serait jamais aussi convainquant si Sarah Schachner n’avait pas rendu une copie aussi puissante en matière de bande sonore. C’est bien simple : la compositrice à elle seule, redresse le bilan souvent médiocre de l’atmosphère du jeu, mais aussi de l’absence de force évocatrice de bien des séquences. Avec son idée d’utiliser des voix sérieusement modifiées et des chants aux allures de cantiques asynchrones, Anthem se forge une identité rare juste avec le support musical. La découverte de “l’hymne de la création”, en jeu, dans un contexte pourtant pas tant travaillé par Bioware, a un rendu saisissant rien que par la seule profondeur du chant qui retentit. Pour un peu que vous jouiez avec un casque (ou avec du son pour certains hérétiques qui oseraient jouer sans son) vous étiez transpercé par la musique d’Anthem.

Bien sûr, vous ne trouverez pas que des chants, mais aussi un orchestre de cuivre, de corde et de vent tout à fait maîtrisé, taillé pour donner encore plus de force à l’action… Et elle n’avait pas forcément besoin de ça pour s’avérer tout à fait engageante, comme on va le voir.

Anthem 002

Un gameplay solidement exécuté… Pour un fond rachitique

Bioware de 2019 n’a plus grand chose à voir avec le Bioware de Mass Effect en 2008. À l’époque faiblard dans l’exécution de ses affrontements, le studio californien a depuis fait du chemin et notamment Mass Effect Andromeda, qui, s’inspirant d’Halo 5, offrait des affrontements tout à fait remarquables. Anthem est l’évolution du dernier Bioware en date : ajoutez à des combats déjà satisfaisants un ressenti arme au poing encore plus impactant, des mécaniques de combat au corps à corps plus violentes encore, une liberté de mouvement offerte par la capacité de voler et une vitesse de réaction du personnage très nerveuse, et vous obtenez des combats explosifs. Le problème est que le bestiaire ne suit pas du tout les capacités du joueur, on ne trouvera que peu d’ennemis volants, peu d’ennemis vraiment efficaces à longue portée… Et peu d’ennemis tout court. Parce que oui, le bestiaire est super léger, vous allez affronter beaucoup de Scars, beaucoup de Skorpions (oui oui… Des Skorpions… Et ce sont des scorpions.) et des titans qui sont souvent exactement les mêmes, jusque dans les animations.

Ce n’est pas le seul département où Anthem est pauvre : niveau armes et équipements, vous retrouverez très fréquemment les mêmes types d’armes avec des apparences et des comportements similaires. Pour un jeu dont le principal appât du gain est l’équipement, Anthem semble s’être débrouillé pour faire l’extrême minimum syndical. Ainsi, vous aurez de nombreux équipements à équiper, mais peu de variété dans ces derniers, et ne comptez pas sur les 4 classes pour vous occuper longtemps.

D’ailleurs, ne comptez pas non plus sur les contrats, forteresses et quêtes principales et secondaires pour vous occuper des centaines d’heures. Pour un jeu du genre “loot-shooter” Anthem délivre l’immense partie de son contenu en une cinquantaine d’heures de jeu. Son contenu de fin de jeu consistant grossièrement à refaire des forteresses en boucle dans des modes de difficulté supérieurs qui ne changent même pas vraiment la forme des challenges proposés, mais ajustent la vie et les dégâts de vos adversaires.

Le contenu de fin de jeu d’Anthem est misérable. Vous pouvez par contre compter sur Bioware pour vous refiler un événement en boucle : le Cataclysme. Fondamentalement intéressant dans son approche (une nouvelle zone ouverte proposant des challenges qui ne reposent pas que sur du massacre, à nettoyer en un temps record) le Cataclysme revient si souvent qu’il n’a pas grand chose d’événementiel. Le pire étant qu’une fois qu’il n’est plus là : Anthem ne se résume plus qu’à faire la même chose, pour récupérer des récompenses si similaires qu’on se demande un peu ce qu’on y fout encore.

Anthem ne propose rien dans son système de jeu, ni dans les équipements proposés, encore moins  dans la progression de son personnage, pour justifier un investissement à long terme. Pourtant les combats fonctionnent du tonerre, mais même eux se heurtent à d’autres constats : s’il y a du mieux, l’interface est toujours très fouillie, trop stylisée et perfectible. Pire : retourner dans la ville de Bastion entre chaque expédition est un cauchemar de navigation en première personne alors que tout le reste du jeu se joue en troisième. Si voler dans l’environnement d’Anthem dans son Javelin est jouissif, subir la navigation dans la ville et ses dialogues écrits à la va-vite sans aucun charme, relève vite de la montagne russe montant dans les sommets du fun pour nous écraser dans des angoisses pas possibles.

Anthem 003

Bioware à la plume… Si si c’est eux

Parce que pour tout ce qui touche aux enjeux, à l’histoire, ou même à la mise en scène une fois que l’on dépasse la séquence d’introduction dans Anthem, nous conduit dans les méandres obscurs d’un Bioware dépossédé de sa qualité historique. Bioware n’a jamais été parfaitement passionnant sur la profondeur de ses récits : mais il y avait toujours un souffle aventureux, un vrai besoin de raconter quelque chose et le studio n’a même jamais failli même dans le cas d’un Dragon Age II ou même d’un Mass Effect 3. Si vous aviez déjà été déçu par Dragon Age : inquisition, voire été trahi par Mass Effect Andromeda : préparez-vous, Anthem est pire.

Anthem est littéralement le récit le plus flou, mal développé et mal maîtrisé de Bioware. C’est à ce point mal délivré qu’il m’est arrivé de me demander si quelqu’un avait – ne serait-ce – que réussi à clairement identifier les enjeux de l’histoire. Parce que les objectifs réels de cette dernière ne deviennent vraiment évidents qu’après un bon paquet d’heures sur une histoire qui se finit en 20 heures. Vous trouvez ça court ? Sachez que par deux fois, le jeu joue la carte du délaiement de sauce à base de “Faites 50 combos de groupe pour débloquer la suite de l’histoire”…

… Est-ce que c’est une blague ? Est-ce que le jeu vient littéralement de freiner le rythme de son récit bordélique pour s’assurer que l’histoire ne se finisse pas en une dizaine d’heures ?

Ah mais… Mais c’est tellement faible et pitoyable que ça me fait de la peine. Même les tentatives d’écriture de relation entre les personnages se heurtent rapidement à la réalité qui suit : même dans l’introduction de son peu de personnages, Anthem se viande. Les séquences cinématiques en première personne cassent absolument toute implication du joueur, car notre personnage principal est à la fois trop indépendant des décisions du joueur, et pas assez incarné pour nous apparaître crédible en tant que personnage en première personne. Résultat : il cause sans qu’on lui demande, mais on ne le sent pas vraiment connecté à notre avatar en Javelin, donc on finit par avoir cette impression que toute suspension d’incrédulité est littéralement impossible avec un récit aussi mal maîtrisé avec une mise en scène aussi plate.

Je pourrais continuer longtemps à adresser tout ce qui ne va pas dans l’histoire d’Anthem, ou dans sa narration, ou même sa mise en scène, ou tout simplement son écriture, mais je préfère adresser une réussite finalement non pas du fait du studio, mais de la musique. Si l’on ne devine pas ce qu’est l’Anthem précisément (parce que Bioware n’en sait rien non plus, je le rappelle, c’est juste un artefact puissant au final) rien qu’à entendre la puissance du son qu’il dégage : on devine clairement pourquoi il est aussi facile d’y céder. Il y a tellement d’émotions qui se dégagent du simple son de ce dernier que l’on peut saisir nettement quelle attraction il peut exercer sur des esprits sensibles à son chant.

Mais bon, quand on en est à relever ce genre de choses comme qualité d’écriture, c’est que le problème est beaucoup trop gros.

Anthem n’est, malgré tous ses défauts et son développement chaotique – souligné par une communication idiote – pas une horreur telle que l’on aurait pu s’attendre qu’il soit. Désormais épargné des bugs qui rendaient le titre encore plus difficile à apprécier à son lancement, Anthem brille par quelques fulgurances et sincères réussites sur des points très importants pour son fonctionnement en tant que défouloir, ou même son esthétique, pour s’effondrer sur tout ce qui touche à ce qu’il est sensé être (un jeu service jouable des centaines d’heures) et ce qu’il aurait aimé être (un bon récit). Anthem a beaucoup de pistes pour s’avérer un jour un excellent jeu, il a même le squelette et les bases solides à devenir un concurrent sérieux à Destiny, mais son absence de contenu et le fondamental problème posé par sa progression sans intérêt, condamne le jeu à une médiocrité pitoyable pour un jeu d’un studio aussi renommé.

Mais, quand vient le moment du bilan, je sais que je n’aurais pas passé plus de trente heures sur un jeu totalement déplorable. Je sais aussi que, quand vient le moment du bilan, on ne peut mentir sur ce qu’est Anthem : un jeu propulsé dans le monde sans avoir été intégralement pensé comme ce qu’il aurait dû être, avec trop de problèmes d’identité et un déficit de profondeur dans ses mécaniques qui en font un jeu beaucoup trop bancal pour être ne serait-ce que recommandable en l’état. Si la curiosité vous prend, à faible coup, Anthem vaut le coup d’oeil pour les musiques, le visuel et les combats, mais pour tout ce qui touche, ne serait-ce qu’à des pures mécaniques de progression, Anthem est un échec cuisant. On parle quand même d’un jeu de Bioware, quelle déchéance. En espérant que le studio parvienne à sauver son bébé en réfléchissant à ce qui peut – et doit – être fait, car plus que jamais, c’est la compétence du studio dont on peut commencer à douter après deux échecs indéniables.

+ C’est très beau
+ Les combats jouissifs
+ Un beau sentiment de liberté offert par le vol
+ L’univers a son potentiel
+ Les musiques sont absolument somptueuses

Note RPG 2 sur 5
Note testeur 05 sur 10

– Creux, mais tellement creux
– L’histoire, la mise en scène et la narration de la honte
– Des combats qui ne se renouvellent pas, faute de bestiaire et d’équipements variés
– Le recyclage et les techniques pour allonger la sauce
– Rien ne paraît mûr dans ce projet

Marcheur
Marcheur
Ancien rédacteur des sites disparus "Loutrage" et "RPG France", refuse le chômage technique, écrivain impulsif, il écrit ce qui lui passe par la tête -et plus encore- ce qui lui permet d'avoir la productivité d'un hyperactif sous coke. Avertissement de l'OMS : sa prose logorrhéique provoque AVC et convulsions.

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