jeudi, avril 25, 2024

Cyberpunk 2077

Ce test a été écrit par Marcheur et publié à l’origine le 26 janvier 2021 sur le site RPGFrance. Avec son aimable autorisation.

NOTES FINALES

Cyberpunk 2077
8
Note RPG
10

Nous sommes en 2020, le 10 décembre exactement, et enfin, CD Projekt accouche dans la terreur, le sang et les larmes son RPG attendu depuis 2013 : Cyberpunk 2077. Victime d’un engouement comme rarement rencontré dans le jeu vidéo qu’un autre studio que RockstarCD Projekt parvient à un lancement record de son titre sur Steam, avec plus d’un million de joueurs en simultané pour le lancement. Record qui vient avec son lot de polémiques sur la supposée transphobie du studio, et les versions Xbox One et PS4 classique du jeu, tournant dans des conditions déplorables.

Comment CD Projekt est-il parvenu à simultanément réussir l’un des plus gros lancements de l’histoire du jeu vidéo, tout en accouchant d’une œuvre que l’on savait d’ores et déjà vouée à de multiples polémiques dès que les bruits ont couru de la possibilité de purement et simplement annuler des versions PS4 et One dans la panade ? Difficile à dire. Ce sacré concours de circonstances, conclut un développement long, intense, durant lequel tout CD Projekt s’est infligé un rythme de travail féroce pour accoucher du jeu le plus ambitieux de l’année, voire de la décennie… Sauf que ça, c’est la théorie, du moins, c’est ce que la campagne marketing voudrait nous faire croire.

Partons tous ensemble sur une promesse assez simple : pour tout le respect que j’ai pour CD Projekt d’avoir voulu assumer jusqu’au bout leur vision – quitte à ce qu’elle soit polémique – de l’adaptation du jeu de rôle papier Cyberpunk 2020 en jeu vidéo, je suis avant tout là pour vous dire ce que vaut le jeu dans un ici et maintenant problématique. Armé de ma fraîchement acquise Xbox Series X, de ma version console, de mon pad, de mon intellect défaillant et de mon plus grand sang froid, je vais tenter de décortiquer l’oeuvre de CD Projekt et parvenir à la double tâche de simultanément vous dire ce que j’en pense personnellement, et si Cyberpunk 2077 est ne serait-ce que l’ombre du colosse qu’on nous a promis… Le tout, garanti sans godemichet.

Critique destructurée pour jeu en recherche de contenance

Nous sommes en 2077 et le monde ressemble à peu près à ce que j’envisage : des corpos partout, conditions sanitaires déplorables, culture de l’ultraviolence généralisée, les gangs prennent le peu de pouvoir qu’il reste, l’ultra libéralisation a fini de faire de votre corps une marchandise comme une autre et tout ce qu’il restait de nos codes moraux a disparu face à la nécessité de briller socialement. Au milieu des paumés et multiples laissés-pour-compte, quelques mercenaires ou petites frappes un peu ambitieuses rêvent de devenir des légendes urbaines qui survivront au marketing massif des produits des corpos.

Vous incarnez V : homme ou femme, qui peut être au choix gosse des rues de la mégalopole Night City, membre de corpo’, ou nomade, ayant vécu à la périphérie de la cité de tous les excès. En tant que jeune arrivant dans ce monde un brin brutal, vous allez vous tailler un chemin dans tout ce bordel à coup de flingue, d’armes de corps à corps, ou de lattes dans la glotte, car coupons court à tous vos espoirs de voir en Cyberpunk 2077 le RPG en 3D ultime à l’instar d’un certain Fallout New Vegas et ses nombreuses factions et options de dialogue sociales : c’est pas le cas du tout ici.

Si l’univers est vaste, riche, dense et terriblement immersif malgré les nombreux couacs techniques : partez du principe qu’au mieux vous êtes face à une version boostée aux hormones d’un Deus Ex: Mankind Divided, les possibilités d’actions sont nombreuses et clairement, on peut approcher les situations de multiples façons. Par contre, tout ce qui touche à l’aspect roleplay / dialogue / personnalité de votre personnage, est souvent très limité dans l’impact que l’on aura en tant que joueur. Mais cela, dès le début du jeu, ce dernier aura tendance à vous déposséder de ce que vous voudriez faire de V, V est un personnage, pas un avatar, on a beau choisir son apparence, quelques options de dialogues à incidence sur l’histoire et son équipement, au final, le spectre RPG lite de The Witcher 3 plane au-dessus de votre expérience.


Cet aspect “RPG lite” n’est cela dit pas vraiment une surprise. Si CD Projekt se sont extirpés de la masse de la concurrence, ce n’est pas pour la profondeur rolistique de leurs jeux, mais plutôt la réalisation globale, l’écriture, l’atmosphère et l’ambition de l’ensemble, voire une générosité extrême dans ce qu’offrent leurs titres. Ici, vous pouvez considérer Cyberpunk 2077 comme un jeu au croisement extrême de Deus Ex: Human RevolutionThe Witcher 3, un peu de Fallout 4 et une grosse envie de taillader la gorge à GTA V.

Si vous trouvez que le grand écart entre ces multiples références est tout de même un peu complexe à effectuer, sachez que vous n’avez en effet pas tout à fait tort. J’ai choisi de dédier toute une partie de cette critique à plusieurs paragraphes introduisant le sujet car Cyberpunk 2077 est un animal fort difficile à cerner dans ses intentions lorsque vient le bilan final. La meilleure manière pour moi de traiter le sujet, c’est d’aborder ce qui marque le plus que cela soit du côté du positif, du négatif, et même du neutre, je ne m’amuserai pas ici à aborder la réalisation indépendamment de l’écriture du gameplay et de la mise en scène, car le studio polonais a mis les petits plats dans les grands pour que tout cela se mêle et se confonde.

Allons-y.

Accoucher d’un colosse en plein tsunami

Vous ne l’ignorez pas : on vit une période de merde. Pas les habitants de l’univers de Cyberpunk, eux ils ont l’habitude des confinements, de l’instabilité économique et des risques de l’insécurité grandissante dans une société où l’état s’est désengagé au profit de l’ultra-libéralisme et des corporations, non, nous on vit une période de merde. La Covid-19 a eu de terribles conséquences sur l’industrie du jeu vidéo aussi, et les reports successifs du projet trahissaient plusieurs choses : des difficultés inhérentes au développement d’un jeu, d’abord, ensuite, les problèmes d’une super-production qui veut voir plus loin que les autres, ensuite, l’inefficacité relative du télétravail et le manque de coordination des équipes en ce contexte.

Mais cela n’est qu’une partie du souci, car le plus grand problème de Cyberpunk 2077, c’est d’avoir simultanément visé trop haut, pour des systèmes trop bas. En effet, si vos PC et autres Xbox Series S / X et PS5 feront tourner le jeu de manière fort convenable et délivreront une vision à peu près fidèle du projet, les Xbox One et PS4 pousseront des râles d’agonie à l’idée de donner vie aux rues pourtant peu peuplées de Night City.


Selon l’endroit où vous découvrez le jeu, vous serez exposé à des réalités différentes. Si c’est sur PC, assurez-vous que votre matos soit à la hauteur de la tâche et vous aurez droit à un jeu d’une beauté saisissante, aux panoramas les plus écrasants grâce à une ville superbement modélisée qui vous écrasera sous son ambition. Chaque bâtiment, chaque lieu, chaque toit, est un endroit qui aura fait preuve d’un soin et d’un amour Cyberpunk des plus notables. Dans un échange avec un autre joueur du titre, je me souviens même avoir glissé “La densité de détails de Cyberpunk 2077 est comparable à celle de Deus Ex: Mankind Divided… sauf que le monde est cinquante fois plus grand”.

Quand on se rend compte de la densité des détails appliquée au gigantisme de la ville de Night City, on comprend bien vite pourquoi quelque chose finira par merder. En effet, si Cyberpunk 2077 est formidablement beau si vous êtes sur PC, le déplacement sur console de nouvelle génération (pas encore optimisée pour exploiter le jeu à son plein potentiel) montre déjà plus de problèmes. La ville demeure, certes, mais la distance d’affichage se montre moins vertigineuse, les textures prennent un coup ainsi que les divers effets visuels, et la densité globale de détails comme des personnages et de la circulation souffre. Mais à côté de ça, on peut compter sur une résolution d’image satisfaisante voire une fluidité assez remarquable sur Xbox Series S et X et PS5.

Descendons encore d’un cran : les PS4 Pro et Xbox One X. Si elles voient leurs ambitions encore à la baisse (sacrifices sur le taux de rafraîchissement de l’image entre autres) et les temps de chargement se montrent plus longs, ces versions s’avèrent encore assez fidèles à la “vision” du développeur. Certes, on ne verra pas là des visuels comparables à un Red Dead Redemption 2, mais le jeu de CD Projekt a des ambitions techniques si colossales que le résultat reste assez remarquable, toute l’expérience est là sans être trop dégradée…

… Maintenant, parlons des PS4 et Xbox One basiques. On descend encore tous les crans en termes de qualité visuelle, on réduit tout ce qui peut l’être, on soustrait encore des détails, et on finit pourtant par avoir une fluidité au ras des pâquerettes, des crashs, des freezes, bref, les machines ne suivent pas du tout. L’amateur de technique en moi n’est pas surpris, enfin si : je suis déjà impressioné que les consoles ne s’enflamment pas dès que le jeu se lance.

Rien qu’à la gueule du jeu, on sent qu’il y a un grave problème avec Cyberpunk 2077 sur les machines vieilles de 7 ans, le jeu y est bien trop à l’étroit, et en essayant de pousser les murs, il pousse rapidement les consoles à la retraite. Aussi triste que cela puisse être, le tollet que se prend CD Projekt avec ces versions consoles est à la fois mérité, et à la fois tout à fait injuste. Il y a parfois des décisions irresponsables qui sont prises, et clairement, avoir voulu faire de Cyberpunk 2077 un jeu de huitième génération était une erreur, clairement, c’est un jeu PS5 et Xbox Series X, et prétendre le contraire c’est ne pas l’avoir vu.

Parce que si on sort du scandale d’avoir des versions à peine jouables en vente au prix fort, on se rend compte que tout dans ce projet pue l’amour. Il est rare – pour ne pas dire plus – que je sois impressionné non pas par l’aspect esthétique, mais par l’ampleur d’un projet. Grand dieu, que ce Cyberpunk 2077 est beau, mais surtout, qu’est-ce qu’il voit grand. La dernière fois qu’un jeu a vu si grand et a autant marqué par sa démesure technique, ça remonte probablement à Crysis en 2007 et Oblivion en 2006. C’est la dernière grande révolution technique dont je me souviens, l’arrivée de la HD et des open world l’exploitant, des grands espaces en veux-tu, en voilà, dans une qualité visuelle que l’on espérait à l’époque seulement réservée à des jeux à couloirs pour que nos machines tiennent le choc. Eh bien ce Cyberpunk 2077 pousse ce sentiment d’immersion et de découverte à son paroxysme : cette ville de Night City est vaste, verticale, sublime et vivante, on a vraiment l’impression d’être au milieu de ce bordel urbain qui pue la crasse, le sang et le chrome.


Plusieurs fois, Cyberpunk 2077 donne le sentiment de redécouvrir le monde ouvert en 3D en accomplissant ce qui était autrefois réservé à des projets qui s’imposaient des limitations techniques pour y parvenir. Ici, l’ambition est telle que Rockstar semble être le seul studio capable de surenchérir. Vous avez été impressionné par GTA V et Red Dead Redemption 2 ? Vous serez époustouflé par le dernier né des polonais de CD Projekt. Je suis encore éberlué par l’ampleur du projet avec pourtant plus de quarante heures au compteur, grandiose.

Mais si ce n’était que pour la plastique, ça passerait encore. Non, le studio a décidé de prendre la caméra en première personne et d’en exploiter l’intimité induite avec le joueur pour proposer de nombreuses séquences d’anthologies. La mise en scène est juste saisissante, nombreuses seront les scènes impliquant le corps de votre personnage et jouant sur les perceptions visuelles et auditives (le sound design étant très travaillé, je vous conseille le casque pour profiter de toutes les couches sonores disponibles) pour vous décontenancer.

L’impression d’être étranger au corps que l’on a, pourtant, le sentiment de contrôler est quelque chose de très intéressant dans la mesure où le joueur est le marionnettiste de son avatar, prendre ainsi le contrôle de votre perception et vous enlevez le tapis sous le pied de temps en temps, est un formidable moyen de nous faire ressentir de l’empathie pour V.

Mais tout cela ne se fait pas sans défauts. Si les intentions sont nobles, certains procédés de mise en scène se répètent un peu. Et quand l’immersion fonctionne, c’est du feu de dieu, mais par contre, lorsque vient le moment où les bugs de collisions, de textures, et les comportements ahurissants de stupidité de l’IA frappent à votre porte, vous êtes vite ramené à votre condition de joueurs de jeu vidéo. Vous prendrez assez cher quand la finition assez déplorable du jeu (pour ne parfois pas dire plus) vous sortira d’une expérience qui fait pourtant tout pour vous garder captif.

Dommage que ces soucis plombent un peu le titre, car les musiques nous plongent elles aussi dans ce futur dystopique avec grand talent et les doublages français s’avèrent eux aussi solides (malgré quelques réserves sur la voix du personnage joueur masculin et autres personnages secondaires). Mais si l’on considère tout ce que Cyberpunk 2077 accomplit en un seul et unique jeu, on ne peut que s’incliner face à CD Projekt : c’est absolument monstrueux. Le travail abattu sur ce titre donne un sacré vertige et on ne reverra sans doute pas ce niveau de production sur un monde ouvert avant le prochain Rockstar. Et parvenir à sortir ce projet – en plus dans les conditions que l’on sait – n’est pas un mince exploit, même si cela vient avec un lourd tribut.

Un gameplay polonais…

Vous savez quel est le plus gros défaut historique du studio CD Projekt ?

“Le rythme ?”

Non, bon, sauf sur le terrible The Witcher 2 sur ce plan là, non je parle plutôt de…

“Leur obsession pour les rousses ?”

… Non ça ça serait plutôt une qualité dans mon agenda, non, le gameplay.

Eh bien sachez que Cyberpunk 2077 ne déroge pas vraiment à cette règle. Les choses se présentent tout de même mieux que pour The Witcher 3, mais il faut bien avouer que de nombreux défauts viennent ternir un tableau autrement assez satisfaisant sur pas mal de points.

Le souci principal, c’est l’aspect très “rigide” de l’ensemble, malgré les intentions de souplesse que l’on ressent dans certains automatismes (on peut s’aggriper un peu partout, on saute assez haut, on peut courir assez longuement sans s’arrêter très tôt dans le jeu, le switch d’arme est rapide et l’ensemble se veut nerveux…) il reste des soucis dans la réactivité des contrôles et sans doute aussi un manque d’animations de transitions pour les mouvements du personnage. Les sensations des armes sont présentes mais pas assez marquées, la galerie de mouvements est sans doute assez riche tout comme l’arsenal, mais le manque de punch général n’est pas sans rappeler des soucis historiques des deux derniers Deus Ex, oui, encore eux.


On notera aussi que l’IA manque cruellement de stratégies. Si elle s’avère “fonctionnelle” en affrontement et agressive, les contourner et abuser de leur manque de mobilité est vite très facile. Pour tout dire, elle semble incapable de gérer la verticalité de l’action : si vous grimpez (et avec les bons implants, cela devient vite une seconde nature) vous aurez presque fatalement l’ascendant sur n’importe quel assaillant (bon, c’est logique aussi, écrit ainsi).

La conduite des véhicules s’avère là encore assez bancale, pas soutenue par un moteur physique pas très poussé, les voitures et motos s’avèrent relativement maniables avec des sensations de vitesse malheureusement peu convaincantes et une nervosité qui leur fait aussi défaut. C’est assez dommage dans la mesure où votre monture mécanique aura une belle place dans l’aventure.

Fort heureusement, le level design prend du niveau et la ville de Night City est aussi belle à découvrir qu’agréable à parcourir. J’ai personnellement passé beaucoup de temps à étudier et expérimenter la construction des divers quartiers, mais surtout, à m’amuser à farfouiller partout pour chopper les très nombreux objets et secrets qui enrichissent le monde de Cyberpunk 2077. Le monde n’est à ce propos pas aussi vaste qu’on pourrait le penser : Night City occupe près de 50% de l’espace du jeu, mais le reste de la carte s’avère assez vide, ce qui offre un formidable contraste avec la densité de la mégalopole, mais l’exploration de l’ensemble vous occupera de nombreuses heures grâce au grand nombre de lieux à visiter ainsi que les intérieurs (le tout, sans aucun temps de chargement, eh ouais !).

Mais là où le gameplay brille, c’est dans le système de progression : 5 familles de caractéristiques et chacune d’entre elle a au moins 2 arbres de compétences avec une quinzaine de compétences chacun. De quoi personnaliser à souhait votre personnage. Ajoutez les nombreux emplacements d’équipements ainsi que les implants disponibles et vous optenez un jeu d’une richesse saisissante du côté du système de jeu, de quoi pousser à la rejouabilité.

Oui mais il faut aussi admettre un problème assez grave : la majeure partie de vos choix n’aura AUCUNE conséquence sur le monde et l’histoire. Oubliez l’importance de vos actions dans un The Witcher, ici, tout est réduit à l’illusion de ces dernières, voire même une direction assumée, car nombreux seront les moments où Cyberpunk 2077 assumera son parti pris en vous offrant un seul choix de dialogue. Oui, un seul, l’option obligatoire, mais t’as le choix mon pote, tu peux aussi arrêter de jouer.

Et je me permets ici de pousser ma principale gueulante sur le jeu : il est où le jeu de rôle ? Parce que choisir son origine pour avoir une quarantaine de questions à poser dans le jeu en rapport avec cette dernière, c’est sympa, le prologue de trente minutes lié à cette dernière aussi, mais au final, qu’est-ce que moi, le joueur, je pèse dans le récit du jeu ? Bah pas grand chose en fait, si peu que j’ai vite arrêté de me questionner sur les conséquences de mes actions car jamais je n’en ai ressenti l’impact. Alors certes : j’ai continué l’aventure sans jamais me lasser de quoi que ce soit car le titre est palpitant, mais me sentir à ce point étranger au récit alors que c’est un jeu de rôle en première personne où on ne voit jamais le visage de notre personnage ailleurs que dans des vitres… J’avoue que c’est un vrai crève coeur.


Aussi, tout ce qui touche à la carte du monde et la navigation via la mini carte est assez problématique. La mini carte manque de recul et le GPS est dysfonctionnel : soit il indique un chemin bugué, soit la caméra est trop rapprochée en voiture pour qu’on puisse anticiper où on doit tourner avant le moment fatidique. Le résultat est une navigation pas très intuitive. Aussi, la carte du monde est assez esthétique, mais manque de lisibilité, mais surtout, elle abuse pas mal de la technique du “point d’interrogation” pour nous inciter à aller en des lieux précis, alors qu’avec un monde aussi somptueux, on ne demanderait qu’à s’y perdre pour y découvrir toutes ces richesses par nous-mêmes.

Structurellement, je reproche aussi aux quêtes secondaires et activités d’être assez répétitives et manquant fréquemment du travail de mise en scène des principales. Du moins pour une partie d’entre elles, d’autres, font preuve d’un talent d’écriture et d’une application dans la réalisation qui forcera le respect. Le moyen côtoie donc l’exceptionnel et c’est sans doute ce qui ici peut le plus décevoir, même si – croyez-moi – certaines quêtes vont vous émouvoir, voire peut-être même vous retourner les tripes.

Un récit Cyberpunk du plus bel effet

Souvent, ceux qui adhèrent aux jeux de CD Projekt, adhèrent surtout aux talents de conteur du studio. Rassurez-vous : ici aussi, c’est de la bonne came, voire de l’excellente. Même si on sent que l’histoire a été révisée mille fois et que de nombreux acteurs et séquences ont dû être coupées quand on regarde le trailer de 2018 notamment, le résultat final n’en demeure pas moins très réussi, drôle, frénétique, souvent assez effrayant, même poignant.

Parce que si l’univers du jeu est ultraviolent et nous conduirait vite à envisager l’avenir dépeint dans le titre avec un cynisme infini, des pépites d’humanité viennent contrebalancer l’horreur du quotidien de ce monde. Aussi, au court de ma partie, à de nombreux moments, je me suis retrouvé à relativiser la valeur de la vie humaine au sein de cet univers, car entre la manipulation de l’opinion publique par les corporations, la complaisance de “l’état” vis-à-vis des actions de ces dernières, le manque d’amour propre de n’importe quel quidam qui sacrifie son corps sur l’autel de la performance cybernétique, on a vite le sentiment de l’immense vacuité de la poursuite de la célébrité à laquelle aspire tant notre personnage.

Fort heureusement, l’immersion dans un jeune con aussi superficiel, est vite contrebalancée par des événements et des acteurs qui viennent nous rappeler que non, même au coeur de la dystopie cybernétique la plus débridée, il y a encore des gens qui – même avec une partie de leur corps désormais manufacturée – ont des émotions et des aspirations bien humaines. Ce rafraîchissement et ce retour à la normale est curieusement venu pour moi assez tard dans l’expérience pour que je sois déjà en train de me plonger dans un rôle de mercenaire déshumanisé considérant ses pairs comme des machines victimes de leurs pulsions, tentant artificiellement de combler le vide de leurs existences avec les milliards de merdes que la société Cyberpunk leur propose : ambiance.

Je trouve ce phénomène d’immersion assez inédit : il faut dire que Cyberpunk 2077 fait tout pour être cru dans sa dépiction de la “machine humaine augmentée” pour que très vite, on ne voit dans nos semblables que des tas de viandes et de métal vaguement animés par de bas instincts. Et la plongée très précoce dans des motivations vaines comme l’ascension au rang de “légendes urbaines” du mercenariat, a tôt fait de vous plonger dans un état second de déréalisation. 


Bien sûr, la question de la déréalisation et la portée politique et philosophique de la marchandisation du corps et l’augmentation de ce dernier sont des éléments clés du sujet Cyberpunk. Et en ce sens, le jeu va très loin, souvent d’ailleurs assez loin pour que les questions s’imposent d’elles même sans jamais être vraiment adressées directement par le récit, pas parce que les écrivains derrière ce dernier n’ont pas le niveau pour explorer ces sujets, mais parce qu’ils ont pensé qu’il y avait assez de matière dans l’univers du jeu pour que le joueur en fasse ce qu’il veut.

Et de ce côté, je dois bien admettre que j’ai de nombreuses fois interrogé mon rapport au corps, mon rapport à l’intimité, à la notion de propriété, de propagande, tout ce qui touche à l’être fatalement. Si nous sommes ainsi chosifiés par l’économie et donc le fonctionnement même de nos sociétés qui dépasse le cadre du seul homme pour y intégrer les machines et l’intelligence artificielle appliquée au remplacement des éléments que l’on croit fondamentaux à notre conception de l’humain (notre cerveau, notre corps, notre psyché) si tout cela n’est au final qu’une donnée que l’on peut numériser et falsifier, alors il ne reste finalement que l’expérience subjective de vraie.

Tout ça – et plus encore – vous y aurez droit au cours de vos nombreuses heures en compagnie de V, ses potes, ses ennemis et du monde de Cyberpunk 2077. Vous m’aurez compris : ça dégomme.

You’re breathtaking!

Vous aurez beau faire, énumérer les défauts et les qualités de Cyberpunk 2077 et en faire des listes pour m’expliquer pourquoi est-ce qu’il y a dans ce titre trop de choses qui déconnent et trop de problèmes techniques pour qu’on le considère comme une réussite, je ne peux pas m’empêcher de penser que ça serait une immense et colossale injustice.

Je suis le premier à avoir attaqué CD Projekt avant ce projet pour mettre en lumière les manquements du studio (les soucis techniques fréquents, le gameplay, l’écriture parfois maladroite), mais jamais je n’ai réduit leurs projets à une somme de qualités et défauts dont on fait ensuite le compte pour déterminer si oui ou non le titre est bon. Actuellement, le jeu est sous le feu des projecteurs et des critiques pour des raisons multiples, techniques d’abord, marketing parce que le jeu n’est pas aussi parfait que ce qu’on nous vendait (vous y croyez vous ? Du marketing qui survend un produit ? On a jamais vu ça) et les versions consoles sont clairement un problème.

Mais le vrai problème de ce Cyberpunk 2077, c’est que pour la première fois depuis au moins Red Dead Redemption 2, un projet vient avec une vision qui va à contre courant de ce que l’industrie propose. Nombreux sont les jeux qui lissent leur propos politique pour rester “fréquentable” et vendable à n’importe qui dans un écrin doré. Eh bien la vision de CD Projekt pour leur jeu, c’était un projet d’anticipation cru, souvent ultraviolent et excessif, livrant un univers qui pourra paraître pour de nombreuses personnes assez réactionnaire, avec notamment une représentation des minorités (ethniques ou sexuelles, voire interroger même sur la notion d’identité pure) qui pourra faire crisser les dents et lever les poings. Cyberpunk est de toute façon déjà en train de susciter mille et une polémiques, malheureusement, ce ne sont pas encore celles qui sont intéressantes.

Mais cette vision complète, très tranchée et pourtant fondamentalement nuancée, m’a prise aux tripes comme aucun jeu ne l’a fait depuis au moins Fallout New Vegas. Les gants cliniques que les développeurs de AAA mettent habituellement pour livrer leurs productions sont ici mis bien au chaud dans un tiroir fermé à clé, dont on jettera le trousseau dans un broyeur pour que tout y soit à sa place. Cyberpunk m’a déplu sur certains aspects, c’est certain, mais son contenu est franc, honnête, réfléchi, et surtout fidèle à son titre et son genre : Cyber-Punk.

Il y aura certainement des choses que vous trouverez à redire sur le jeu, ça c’est certain, mais force est de reconnaître qu’au moins ce titre là ne vous laissera pas indifférent. Très loin de la norme et des conventions qui veulent caresser le public dans le sens du poil, Cyberpunk 2077 est suffisamment crasseux et irrévérencieux pour qu’on lui trouve ce charme des jeux d’auteurs qui imposent leurs griffes sur le jeu vidéo. Il est difficile pourtant de fermer les yeux sur les soucis de rigidité du gameplay, de l’IA stupide, des nombreux bugs parfois bloquants et des versions consoles, ainsi que sur les conditions de développement déplorables, mais le constat ne change pas : à l’arrivée, Cyberpunk 2077 est bel et bien un jeu important.

Pas que parce qu’il est monstrueusement plus ambitieux que de raison, pas juste parce qu’il est le produit d’un investissement financier massif et d’une machine marketing implacable, mais surtout parce que derrière tout ça, l’amour et l’envie d’offrir au monde une oeuvre grandiose transpire dans chaque aspect du titre. Cyberpunk 2077, ce n’est pas juste l’addition d’un FPS convenable, d’un GTA-like perfectible, d’un RPG médiocre et un jeu narratif souvent trop dirigiste le tout dans un open world saisissant, il est plus que la somme de ses parties et devient un projet marquant, voire écrasant. Et pour tout ce qu’il m’a fait ressentir, il était de mon devoir de témoigner tout l’amour que j’ai pour les personnes qui ont achevé contre vents et marées un tel projet en retour de ce qu’elles ont investi comme temps et passion pour le jeu.

Cyberpunk 2077 n’est peut-être pas le RPG ultime qu’on aurait ici tous espéré, mais il est un projet narratif et immersif dans lequel on s’immerge et l’on ressort saisi et fasciné par ce qu’il parvient à accomplir. Un jeu important, que l’on a d’ailleurs du mal à résumer, même en plus de 4000 mots…

+ Night City est la ville la plus grandiose du jeu vidéo
+ Visuellement magnifique sur PC, très beau sur PS5 et Xbox Series X
+ Liberté d’action remarquable
+ Un système de jeu riche et une progression jouissive
+ Une mise en scène et une histoire très réussie

Note RPG 5 sur 5
Note testeur 08 sur 10

– Catastrophe technique sur Xbox One et PS4 de base
– Très dirigiste finalement
– L’aspect RPG, notamment social, est très peu développé
– Beaucoup trop de bugs
– Pour chipoter : trop de clones dans les passants


Il est possible de lire un autre test sur le site de Cyberpunk 2077.

Marcheur
Marcheur
Ancien rédacteur des sites disparus "Loutrage" et "RPG France", refuse le chômage technique, écrivain impulsif, il écrit ce qui lui passe par la tête -et plus encore- ce qui lui permet d'avoir la productivité d'un hyperactif sous coke. Avertissement de l'OMS : sa prose logorrhéique provoque AVC et convulsions.

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