En 1997, alors que les joueurs n’ont d’yeux que pour les nouveaux FPS et leurs moteurs 3D révolutionnaires, le talentueux studio Black Isle lance une petite bombe thermonucléaire sur le monde du RPG vidéoludique. Rafraîchissant, original et bien écrit, Fallout est une réussite au succès immédiat. Dès lors, il n’en faudra pas plus pour que l’éditeur Interplay leur commande une suite qui ne se fera pas attendre : un an plus tard à peine arrivait Fallout 2. Ainsi, le délai s’avère plutôt court et l’accueil est de ce fait légèrement moins enthousiaste. Pourtant, le jeu restera gravé dans les mémoires des joueurs, au point d’être aujourd’hui encore constamment cité comme une des références d’un présumé « âge d’or » du cRPG.

Mad Marx ?

Fallout, c’est en premier lieu un univers. Bien que chaque épisode ait son ambiance propre, tous s’inscrivent dans cette science-fiction vintage, uchronique. Un rétro-futur qui convoque aussi bien Mad Max que les vignettes de Métal Hurlant, mutants irradiés de série Z, barils de substances fluorescentes dignes des Tortues Ninjas, cauchemars de la Guerre Froide et technologies « à boulons et diodes » typiques de l’imagerie SF des 50’s… Nostalgique et kitsch donc, mais qui se permet aussi d’être très violent et humoristique, voire contestataire, l’univers de Fallout possède une saveur particulière.

Nous sommes en 2241, la guerre pour les ressources entre une Amérique capitaliste et une Chine communiste a déclenché un holocauste nucléaire quelques 160 ans plus tôt, anéantissant toute civilisation sur terre. Restent alors quelques communautés, bien décidées à survivre mais surtout à perpétuer ce qui a fait la renommée de l’humanité : la guerre… Ainsi, incarnant un descendant du héros du premier opus, le joueur devra partir en quête d’un artefact d’avant-guerre dans le but de sauver son peuple. Une quête prenante mais qui est avant tout prétexte à découvrir ce nouveau monde dévasté, ses différentes sociétés et ses règles… Et bien sûr, à tout chambouler ! 

A horse with no name.

 Avant de débuter cette quête, il faudra d’abord créer son personnage par le biais du classique mais solide système SPECIAL (lui-même inspiré de loin du système GURPS, en vogue dans le milieu du jeu de rôle papier) : 7 caractéristiques primaires (force, agilité…), dont dépendront les caractéristiques secondaires (résistances, nombre de compagnons, points de vie…) et une vingtaine de compétences plus ou moins utiles en jeu, allant du combat à mains nues au troc, en passant par les sciences et la médecine…

On pourra d’ailleurs pousser la personnalisation grâce à quelques traits facultatifs pour se faire un personnage sanguinaire, fébrile de la gâchette ou bien encore charmeur. Plus tard, en prenant des niveaux, le joueur aura l’occasion d’affiner ses compétences avec de bons vieux points à répartir et par l’obtention, selon pré-requis, d’une liste de perks (82 en tout) tous plus déjantés les uns que les autres.Pour ce qui est de la mécanique c’est donc un sans-faute. Pour l’esthétique en revanche, on repassera ! Il n’y a tout simplement aucun choix de personnalisation cosmétique, et chaque joueur commencera avec le même avatar de base (en fonction du sexe choisi, seule variation possible), qui plus est identique à un bon nombre de PNJ présents dans le jeu. Du coup, ceux qui adorent « jouer à la poupée » seront donc plus que déçus par cet aspect du jeu terriblement austère (l’austérité… J’y reviendrais)…

Pourtant, cette fiche de personnage regroupée sur un seul et même écran s’avère très pratique, le joueur ayant accès à toutes les informations d’un seul coup d’œil. Toutefois, il n’en va pas de même pour toutes les fenêtres d’interface, qui se voulaient novatrices et fluides à l’époque, mais qui aujourd’hui semblent simplistes (le journal de quêtes) ou malcommodes (les écrans de troc ou d’ordres aux compagnons sont réellement pénibles d’accès). A leur crédit, le tout est quand même assez limpide et même un néophyte s’y retrouvera aisément. 

Beauté sauvage… ou pas !

 Après un rapide briefing de votre mission sous forme de cinématique (plutôt précieuse car on en dénombre seulement quatre dans tout le jeu, intro comprise), il est temps de débuter l’aventure. Et là, c’est la déconfiture : le jeu est moche ! Pas complètement inesthétique mais certainement pas beau. Le moteur de jeu en 2D à la vue isométrique de Fallout premier du nom est réutilisé, ainsi que ses différents sprites et éléments de décors. Le rendu est un peu plus détaillé, certes, mais il n’y aura pas de miracle… Le premier jeu était déjà considéré comme graphiquement passable à l’époque mais sa suite fait aujourd’hui pâle figure. Seulement sauvée par le fait que, rétrospectivement, on en attendra plus grand-chose.Par conséquent, si ses villes en ruines délicieusement art-déco et ses complexes low-tech sont relativement bien agencés, le désert, avec ses grandes surfaces oranges et vides, lassera rapidement, même si on remarquera la finesse de certains détails. Rien de spectaculaire donc, l’austérité semblant bel et bien être la règle…

Alors oui, les plus passionnés argueront que tout ceci s’accorde parfaitement avec l’univers décrit, mais les autres resteront quand même plus circonspects. De plus, les animations ne sauveront pas vraiment la donne vu que la plupart sont tout juste correctes et qu’elles sont aussi peu nombreuses. A l’exception des animations de mort, jouissives et proprement dégueulasses, et pour le coup, très nombreuses. Notons d’ailleurs qu’elles sont désactivables dans le menu des options, tout comme le langage ordurier, pour ceux que ce genre de puérilités n’amuse pas…Bon gré mal gré, tout ce petit monde prend vie, surtout grâce au nombre de personnages affichés, dont les animations rudimentaires suffisent tout de même à retranscrire la décadence des lieux.

Ainsi, les bandits jouent avec leurs armes, les junkies errent en criant dans les rues, les enfants crasseux galopent dans tous les sens… Mais c’est bien la musique qui réussit le mieux à nous plonger dans l’ambiance. Le surdoué Mark Morgan, qu’on ne présente plus, réitère l’exploit du premier Fallout : une nouvelle bande originale atmosphérique, alternant rythmes tribaux, plages électro syncopées et guitares Rock gémissantes et évoque parfaitement une Amérique déchue, hantée par les ombres du passé. Rien à redire de ce côté-là, contrairement aux bruitages, quasiment absents. En effet, à part les détonations des armes, quelques cris d’agonie ou grincements de portes, c’est le monde du silence. On aurait à coup sûr aimé entendre le vent du désert ou les piétinements métalliques de nos armures lourdes… Il faudra faire sans. Dommage. 

Quand t’es dans le désert… depuis trop longtemps…

Fallout 2 peut se jouer d’une seule main. En bon représentant d’une époque où les cRPG tentaient encore de reproduire l’expérience du jeu de rôle sur table, son gameplay est plutôt cérébral. En effet, il n’a pas de “maniabilité” à proprement parler, et les réflexes ou la dextérité du joueur ne seront à aucun moment sollicités. Dans les faits, on commande son personnage indirectement, en se contentant de lui indiquer sa destination d’un click et de le regarder s’y rendre. Les différentes interactions (utiliser une compétences active ou un objet de l’inventaire sur un élément du jeu) se font alors grâce à un menu déroulant plutôt pratique, et le pointeur change de manière contextuelle pour les actions courantes (observer, discuter, ouvrir une porte…).

S’ensuit donc un rythme de jeu posé et réfléchi qui pourra frustrer par son manque de dynamisme et de sensations, mais qui propose tout de même une certaine immersion… intellectuelle, si j’ose dire !Puisque nous en sommes au dynamisme (ou plutôt son absence), parlons des combats. La légende raconte que l’on peut terminer le jeu sans participer à aucun combat. Si cela s’avère évident pour l’histoire principale ou les quêtes importantes, il sera un peu plus difficile d’éviter de se salir les mains lors de certaines rencontres aléatoires ou quêtes secondaires. Difficile, mais clairement pas impossible ceci dit. La légende dit donc vrai… Attention toutefois, le monde de Fallout est violent et beaucoup de discussions peuvent se terminer abruptement en bain de sang sur une parole mal interprétée… Les combats se déroulent alors en tour par tour par belligérants et sont appuyés par des règles simples (l’initiative et les points d’action sont définis par les caractéristiques) mais sans grande finesse.

Si vous cherchez de la stratégie pure et dure, passez votre chemin ! Il n’y en a pas vraiment ici et l’ensemble est plutôt bourrin. La possibilité d’utiliser une visée précise pour aveugler ou estropier ses cibles est bienvenue, mais ne transforme pas pour autant le jeu en simulation militaire avancée.L’IA des compagnons et des ennemis, elle, n’est pas très futée et brille surtout grâce à son agressivité ou l’efficacité de ses statistiques. Pire, les adversaires ont la fâcheuse tendance à prendre votre personnage pour cible prioritaire, ce qui réduit l’intérêt de vos boucli…de vos acolytes, habituels ou de fortune, et peut dès lors compliquer l’avancée des persos bas levels ou peu guerriers. Malgré tout, quand les combats ne mêlent que des intervenants humains, cela fonctionne plutôt bien. Et pour cause, la résolution très sanglante des combats et un système de dégâts sans pitié qui compensent la proverbiale lenteur du tour par tour.

Par contre, quand on a affaire à de nombreux ennemis non-humains, mutants de toutes sortes qui se déplacent à une vitesse d’escargot pour venir vous becqueter les orteils, le temps se fait bien long entre les tours et certains trouveront que ses passages s’apparentent à un petit calvaire. Il n’est d’ailleurs pas rare dans ces moments d’avoir envie d’abandonner sa partie en plein milieu du combat pour aller se faire un jeu plus vif, plus maniable. N’importe quel Pacman ferait l’affaire ! 

Toi, tu creuses.

 La technique et le gameplay de Fallout 2 ne sont donc pas particulièrement spectaculaires, même pour l’époque. Alors qu’est-ce qui a pu justifier sa réputation pérenne de must-have ? Et bien, déjà, il a indéniablement du caractère… Ici, pas de dialogues standardisés, gentillets et pisse-froid. De ce fait, chaque réplique ou presque vous donnera l’impression d’être le héros d’un western spaghetti, badass comme dans un film de Carpenter ou délirant comme dans un roman de Terry Pratchett. Le monde de Fallout est rude, cruel mais complètement fendard, et nombreuses sont les situations qui vous le feront sentir…

S’ajoute à ça moult clins d’oeil (Monty Python, Dr Who, Star Trek, Lovecraft, Terminator, Blade Runner… la liste est trop longue !), souvent lors de rencontres aléatoires sur la carte du jeu, et des moments purement ineptes vu que les personnages, protagoniste compris, n’hésiteront jamais à briser le quatrième mur.Finalement, tout ce délire peut déconcerter mais il participe sans conteste à l’aspect «fourre-tout sympathique» de l’ensemble, qui se paye en plus le luxe d’avoir une étonnante cohésion. D’ailleurs, ce côté sale gosse est encore rehaussé par l’incroyable méchanceté qu’il nous permet d’étaler. Rares, très rares sont les jeux qui nous donneront l’occasion d’incarner une ordure aussi crasse que ce Fallout 2. Bien sûr, on peut tenter une voie plus noble, voire chevaleresque, ou choisir de rester sur le mince fil de la neutralité (le cap le plus compliqué à tenir, comme souvent).

En revanche, les bienheureux qui décideront de s’embarquer dans l’immoralité pourront être acteurs de quelques-unes des séquences les plus viles, sadiques et horribles de l’histoire du RPG, celles-ci sans manichéisme aucun. Et le jeu vous y pousserai presque ! Pour autant, ce n’est pas là que se situe la vraie force de Fallout 2. Non, ce qui explique selon moi son statut d’incontournable, c’est son écriture. Tout bonnement. 

Il est liiiiiibre, Max !

 Enfin non, pas tout bonnement. Nous avons affaire à une écriture magistrale, que ce soit au niveau des quêtes, sur lesquels ont travaillés des scénaristes issus du milieu du jeu de rôle papier, ou de la construction d’un monde cohérent dont les différentes factions – à rejoindre au cours de l’aventure – interagissent entre elles. Ainsi le joueur se voit obligé de faire des choix cornéliens s’il décide de s’impliquer dans la politique des Terres Dévastées. Il en résulte alors une ambiance générale de très bonne facture et en fin de compte, l’absence regrettable de certains des artisans de la réussite du premier Fallout (notamment Tim Cain qui s’est fait l’Abel) ne se fait pas vraiment sentir. 

Au joueur sera alors offerte une très grande liberté. Liberté des choix moraux, des manières de jouer selon son build, des déplacements et de l’ordre de quêtes. Le contenu est dés lors particulièrement foisonnant, dépassant facilement la bonne centaine d’heures de jeu, et la rejouabilité n’est décidément pas en reste. Le revers de la médaille était un jeu buggé de partout à sa sortie, mais c’est sans compter les patchs officiels et les rafistolages de la communauté (genre le fameux Restoration Project)… Ainsi, Fallout 2, c’est un jeu qui n’est vraiment pas linéaire : son histoire peut s’appréhender dans n’importe quel sens, donne sur plusieurs fins et pourtant celle-ci reste très forte. Surtout que cette fois-ci, on nous épargne l’ultimatum pressant du compteur de jours du premier opus. 

Et c’est bien là la qualité première de Fallout 2 : l’équilibre parfait entre une immense liberté et une histoire bien écrite, le fil de la narration ne semblant jamais se briser malgré la densité de l’aventure. Le roleplay en est absolument renforcé. Nos avatars ne sont alors pas uniquement définis par nos choix préalables, mais aussi par les événements scénaristiques, par les actions que l’univers du jeu nous pousse à agir, choisir, subir, ou commettre… De nos jours, l’on parle de plus en plus souvent de gameplay émergent. Moi, je serai tenté de dire que Fallout 2, grâce à sa miraculeuse alchimie entre la liberté et la narration, nous propose en quelque sorte la forme ultime du roleplay : le roleplay émergent. 

Depuis sa sortie, Fallout 2 a rassemblé une pelletée de fans et il a indéniablement marqué son époque. Mais aujourd’hui, quelques quinze années plus tard, ses nombreux défauts techniques et lacunes dans le dynamisme (même pour du tour par tour) en rebuteront plus d’un. Pour autant, il conserve une qualité unique, qui justifie à elle seule le fait que tout curieux du RPG s’y essaye au moins une fois (encouragé dorénavant par son petit prix) : le sentiment de liberté au sein même d’une histoire forte et d’un univers de caractère. Ainsi, c’est un équilibre impeccablement réussi entre le propos des développeurs et les ambitions du joueur, qui est, dans le genre qui nous intéresse ici, si ce n’est inégalable, encore inégalé. 

+ Liberté réjouissante
+ Narration non-linéaire exemplaire
+ Univers original et bien construit
+ Système de règles aux petits oignons

Note RPG 5 sur 5
Note testeur 08 sur 10

– Technique plus que vieillissante
– Combats perfectibles

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