Souvenez-vous : il y a presque trois ans, nous testions The Technomancer, le premier jeu entièrement pensé pour la nouvelle génération de console de Spiders, après le jeu de transition qu’était Bound by Flame. Alors que la course à la puissance et aux pixels s’apprête à reprendre, avec les premières informations concernant les Xbox One “Scarlett” et Playstation V qui commencent à nous parvenir, Spiders continue d’incarner une voie différente, plus modeste mais au potentiel toujours aussi intéressant :
celle des AA, jeux aux budgets et ambitions plus modestes que les blockbuster tels que The Witcher ou The Elder Scrolls, mais qui s’en inspirent en y apportant une touche éminemment personnelle.

Greedfall est-il le jeu de la maturité pour Spiders, celui qui permettra au studio français de prendre sa place parmi les grands du Vieux Continent ? C’est ce que l’on va voir toute de suite.

Comme vous le savez déjà certainement si vous avez un peu suivi le développement du titre, Greedfall prend place dans un univers de fantasy original, se présentant comme une rencontre entre un univers fantasy et une vision romancée de l’Europe du XVIIème siècle. Votre personnage, qui sera rapidement rejoint par un certain nombre de compagnons, est un colon (homme ou femme) qui pourra être personnalisé physiquement en début de partie. Filleul du roi de la congrégation des marchands, votre personnage sera amené à devenir le légat (chef diplomate, en somme) de sa faction, en compagnie de son cousin Constantin d’Orsay (désigné gouverneur) sur une île récemment découverte par les civilisations du Vieux Continent.

En effet, la Congrégation n’est pas la seule faction présente dans l’univers du titre : deux autres factions colonisatrices sont d’ores et déjà installées sur l’île de Teer Fradee : l’abbaye de Thélème, faction ultra religieuse de prêtres révérant un Dieu unique, évoquant fort peu subtilement l’Inquisition chrétienne, et l’Alliance du Pont, regroupement de scientifiques et explorateurs typés moyen orientaux, évoquant la Constantinople du 17ème siècle. Ces deux factions se livrent une guerre sans merci sur le continent, guerre qui couve également sur l’île au début de l’aventure. 

L’île de Teer Fradee est en effet au coeur de toutes les convoitises : au delà de ses ressources naturelles et de sa main d’oeuvre corvéable, l’île suscite en effet des espoirs de survie pour le vieux monde. Le Vieux Monde nous est décrit en début de partie comme étant en grave déclin, déchiré par les guerres mais surtout frappé par une maladie mortelle et incurable, la Malichor. Notre héros se met donc à la recherche d’un remède à la maladie, qui en plus d’une large part de la population affecte également sa mère. Tout l’intérêt du titre résidera donc dans l’exploration et la découverte des mystères de l’île, qui ne se dévoileront qu’avec le renfort des factions que le joueur aura choisi de courtiser par ses choix diplomatiques et ses efforts.   

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Au cours de l’aventure, le joueur fera la rencontre d’autres factions aux particularités intéressantes : parmis eux, les Nauts, peuple de nomades marins, a notre nette préférence en terme de lore, mais les natifs de l’île ainsi que la garde du Denier, faction de mercenaires employés par toutes les autres factions, sont également intéressantes et jouent un rôle important dans les intrigues politiques qui vont ravager l’île. 

Into the Spiderverse

Pour ceux d’entre vous qui ne seraient pas familiers des productions Spiders, Greedfall est donc un action RPG à la troisième personne. Flanqué en permanence de deux compagnons contrôlés par l’IA, dont il est possible de customiser l’équipement, vous explorerez les quatorzes zones semi ouvertes qui constituent le territoire à votre disposition. Chacune de ces zones prend entre une et trois heures à être explorée, ce qui, avec le tunnel de fin de jeu, porte la durée de vie du titre à une trentaine d’heures de jeu, si vous souhaitez voir un peu tout ce que le jeu a dans le ventre. 

S’il faut convoquer des références, imaginez un Risen (contexte insulaire, système de réputation et de faction) qui troquerait son Open World pour un gameplay action inspiré de The Witcher 2 et 3. L’exploration, plus convaincante que dans les titres précédents du studio, passe par les désormais bien connus (depuis que The Witcher 3 est passé par là) points d’interrogations à dévoiler sur la carte, qui peuvent abriter des monstres, des pilliers permettant de gagner des points de talent ou encore des événements scriptés. A bien des égards, même si les licences gardent des différences marquées, Greedfall est à The Witcher 3 ce que Bound by Flame était à The Witcher 2.

Là où le titre patît le plus de la comparaison avec ces illustres références, c’est dans la structure de son univers. En effet, Greedfall est à l’instar des précédents jeux du studio un titre au level design très perfectible. Son monde, bien que visuellement très attrayant et engageant, nous est présenté par l’intermédiaire de couloirs étriqués, qui apportent des contraintes de déplacement et qui semblent être faites uniquement pour ennuyer le joueur. Il y a bien quelques possibilités de “hacker” le terrain, avec l’alchimie qui permet de dissoudre des murs, l’équilibre qui permet de traverser des précipices au moyen de troncs d’arbre, ou encore l’escalade. Mais cette structure pénible (couplée à de nombreux recyclages d’environnement dans des zones importantes du jeu) empêche le jeu de vraiment nous faire goûter à son univers et de prendre son envol.

Greedfall 2001

A travers le miroir 

C’est bien dommage, car comme vous avez pu déjà vous en rendre compte si vous avez suivi l’actualité du jeu, l’ambiance visuelle du titre est particulièrement travaillée. En effet, le setting a manifestement beaucoup inspiré les artistes de Spiders qui nous livrent ici, de loin, leur meilleur effort. Les zones sont toutes plus magnifiques les unes que les autres, avec de vraies belles surprises visuelles qui nous attendent en fin de jeu. Le sentiment d’exploration, s’il n’est pas parfaitement mis en valeur par la structure globale du jeu, est constamment réactivé par le plaisir de la découverte visuelle des lieux. Des marais aux grandes cités, en passant par de sombres jungles et des fôrets luxuriantes, le jeu brasse un large ensemble d’atmosphères très bien exploitées.

Le character design des personnages est lui aussi convaincant, notamment pour les principaux acteurs de l’intrigue politique ayant court sur l’île. Mention spéciale pour le(s) bad guys de l’aventure, très charismatiques et au design inspiré. Le bestiaire, s’il se renouvelle assez peu, est lui aussi plutôt inspiré et sans être exotique à tout moment, parvient à nous faire sentir l’idée d’une vie sauvage sur l’île. On notera notamment une très belle réussite sur le design des monstres primordiaux, au lore bien intégré à celui de l’île, qu’il sera possible de rencontrer au cours de notre exploration de l’île et de la quête principale. Même si le design de certains rapelle beaucoup Bloodborne, les combats contre ces monstres font partie des meilleurs moments du jeu et leur rendu visuel n’y est pas pour rien là-dedans. 

D’autant que la réussite visuelle n’est pas qu’artistique. Sur le plan purement technique, Greedfall s’en tire également avec les honneurs. Si l’on est loin des rendus des jeux AAA qui affolent la rétine, les couleurs automnales de l’île de Teer Frade sont très bien mises en valeur par des effets de lumières et des modélisations soignées, en net progrès par rapport aux jeux précédents du studio. On ne s’attendait clairement pas à s’arrêter aussi souvent pour prendre des screenshots dans le nouveau jeu de Spiders Studios. Pour finir sur le plan de la réalisation, la musique, bien que composée par l’excellent Olivier Derrivière (à l’oeuvre sur les chouettes A Plague Tale cette année et Vampyr l’année dernière), nous a parue assez anecdotique. 

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Kawabunga Kumonga ! 

Sur le plan du gameplay, s’il repose sur les bases posées par ses prédécesseurs, Greedfall propose quelques twists et approfondissements intéressants par rapport à ceux-ci. Un arbre de skill de forme circulaire vous permet de vous spécialiser dans 6 branches principales de combat : armes lourdes, armes à une main, magie de stase (ralentissement du temps), magie de combat, alchimie (pose de pièges) et armes à feu. Les skills sont principalement des améliorations de dégâts, mais à l’occasion de certains paliers vous pourrez obtenir des capacités supplémentaires telles que l’esquive, ou la pose de pièges spécifiques. Au ryhtme d’un skill par niveau, vous pourrez confortablement investir dans deux branches d’ici à la fin du jeu. Le titre propose un loot généreux qui permet de goûter à ces différents types de gameplay, même si des limitations en terme de caractéristiques (force, volonté, endurance, etc) viendront vous limiter.

Ces caractéristiques sont au coeur de votre progression, puisqu’en plus de conditionner les équipements qu’il vous sera permis d’équiper; ils auront également un effet important sur l’efficacité de vos attaques au corps à corps pour la force, à la magie pour la volonté etc. Il faudra donc judicieusement dépenser ces points, puisqu’ils ne s’obtiennent que tous les trois niveaux, contrairement aux points de skill. Impossible de toucher à absolument tout : nous vous conseillons de partir sur un build hybride : nous jouions par exemple à titre personnel un hybride de mage de combat et de guerrier utilisant des armes à deux mains. Cependant, sachez qu’il est possible de changer intégralement de build facilement et à plusieurs reprises au cour de l’aventure, ce qui vous permettra de goûter à tous les plaisirs.

Enfin, dernier élément de personnalisation de votre personnage, avec l’équipement, les talents conditionnent vos capacités d’interactions avec l’environnement ou avec les PNJ et regroupent des éléments comme l’intuition et la persuasion (qui permettent d’ouvrir de nouveaux embranchements de dialogue) : l’alchimie (qui permet comme dit précédemment de dissoudre des murs), ou encore l’endurance (qui conditionne l’escalade). Ces éléments seront notamment cruciaux lors de la conclusion des nombreuses quêtes annexes à disposition. Le jeu offre donc une latitude assez plaisante dans le développement du personnage, même si l’on reste dans le cadre d’un Action RPG modérément complexe. 

Pour ce qui est du gameplay de combat, s’il n’est pas encore exempt de tous reproches, loin s’en faut, avec des starters d’animations toujours aussi rigides, des esquives trop permissives encourageant le cheesing et quelques ennemis sacs à PV peu intéressants à combattre, il est en net progrès par rapport aux titres précédents du studio. Les sensations d’impact sont meilleurs, les patterns des ennemis plus intéressants, et les mécaniques d’armure et de parade, bien que classiques, fonctionnent bien. Greedfall est au final le jeu Spiders qui nous a le plus donné plaisir à alterner entre les différents styles de combat à notre disposition, passant de la magie à l’arme blanche une fois notre magie épuisée, tout en gardant la main sur notre arme à feu en cas de besoin. 

Greedfall combat (&)

Une araignée appelée à régner

Mais si l’action occupe une part importante dans le jeu, tout ne se règle bien sûr pas l’arme à la main dans Greedfall. Sur le plan scénaristique, le titre nous propose une intrigue principale intéressante et plaisante à suivre. Les questions politiques font le sel des premières heures de jeu, alors que notre héros commence à découvrir le territoire et les forces en présence, tentant de gagner leurs faveurs. Certes, on échappe pas à quelques facilités d’écritures, avec des personnages, notamment des chefs de faction, à la mémoire courte qui finissent par remplir une fonction peu naturelle en fin de jeu, et ce, quelles que soient les décision du PJ, et des passages d’exposition scénaristiques trop longs.

De même, le rôle de diplomate du personnage sert de prétexte commode à nous refiler une série de missions qui nous donneront parfois l’impression d’être l’esclave de service, avec des allers-retours assez pénibles entre les différentes cités. Mais les personnages bien croqués, les dialogues convaincants, et surtout le petit twist politique de milieu de jeu relèvent agréablement la sauce. On regrettera simplement un tunnel de fin éculé et laborieux, qui consiste en un regroupement d’alliés pour une bataille finale peu intéressante. 

L’histoire de vos compagnons, également, se mêle plutôt bien aux intrigues de factions et à l’intrigue principale du jeu. Si certaines histoires ont clairement été plus soignées que d’autres, les compagnons sont pour la plupart attachants, et les secrets qu’ils cachent, intéressants. Oubliez par contre les romances, toujours aussi artificielles et malaisantes. Sur le plan narratif, on aurait également apprécié que le titre aborde de manière plus frontale les problématiques morales que le contexte appelle à traiter. Certes, les thématiques du racisme, de la xénophobie et de l’esclavage sont convoquées au cours du titre, mais on aurait aimé les voir traitées avec plus de finesse et plus régulièrement.

Autre regret, si des choix moraux sont présents tout au long de l’aventure, ils sont au final assez peu nombreux. Certes, les quelques-uns qui sont présents ont une importance dans le jeu, mais on ne dira pas que cela a un impact structurel important, comme cela pouvait être le cas dans un The Witcher 2 par exemple.  Notons enfin, pour les épidermiques que Mass Effect a traumatisés, que Greedfall est un de ces jeux de rôle où le texte précis déclamé par le personnage n’est pas visible tant que le choix n’a pas été validé. Soyez cependant rassurés, nous n’avons jamais été surpris par la réaction à l’une de nos tirades.

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Un dernier mot, enfin, sur la finition du titre qui posait problème au moment de notre test. Outre une optimisation perfectible, le jeu se hissant difficilement au-dessus de 40 FPS sur notre machine (I5 2500, GTX 1070, 16 Go de ram), nous avons rencontré plusieurs bugs fatals, avec des crash dans les zones les plus ouvertes, notamment les grandes cités. Des problèmes qui ne semblent pas isolés à notre machine, mais qui auront certainement été corrigés depuis la sortie du jeu.  

Si Greedfall n’est pas encore le titre qui verra Spiders s’affranchir des quelques scories qui s’accrochent depuis près d’une décennie à ses titres, il convient de saluer le chemin parcouru par le studio français avec son nouveau bébé. Littéralement porté par un univers enchanteur, malheureusement plus sublimement mis en image qu’approfondi en terme de lore, et par un gameplay action fluidifié, Greedfall offre un plaisir de jeu bien supérieur à celui de ses prédécesseurs.

S’il ne bénéficie pas d’un lore aussi intéressant que le dyptique Mars : War Logs/Technomancer, il se rattrape grâce à une trame plus agréable à suivre. Certains déploreront un certain classicisme dans les systèmes, notamment de combat et d’évolution, d’autres, un manque d’ambition structurelle. Mais si vous êtes en manque de RPG AAA, de Dragon Age, Risen ou même Fable, Greedfall fera un très bon paliatif en ce début d’automne, en attendant les gros titres de la fin et du début d’année. 

+ Un gameplay action fluidifié
+ Un vrai progrès technique
+ Univers original
+ Direction artistique à tomber
+ Trame politique plaisante

Note RPG 3 sur 5
Note testeur 07 sur 10

– Level design toujours aussi inintéressant
– Toujours des allers retours indus
– Peu de choix
– Acte final long et laborieux
– Timide sur les thématiques les plus sensibles

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