En juillet 2020, on avait commencé à vous parler de Weird West, un action-RPG en vue isométrique dans un univers mélangeant western et fantastique et on avait eu l’occasion de traduire une interview du président et directeur créatif de Wolfeye, Raphael Colantonio.
Gamesindustry a eu l’occasion de discuter avec le concepteur narratif Lucas Loredo, de faire son portrait et de parler de ses inspirations et de la façon dont il veut changer la façon dont les jeux racontent des histoires en supprimant les cutscenes.

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La narration dans les jeux vidéo prend de nombreuses formes, qu’il s’agisse de dialogues dans le jeu, de détails sur l’environnement ou même d’informations sur l’histoire via des documents trouvés et des enregistrements audio. Les scènes cinématiques (cutscenes) ont toujours été un élément essentiel de l’histoire et des moments importants de l’intrigue, mais certains auteurs de jeux vidéo souhaitent trouver des alternatives.

Lucas Loredo, concepteur narratif de Weird West, est l’un d’entre eux. Il s’agit d’un action-RPG aux allures de simulation immersive, qui se déroule dans un Far West à la limite de la dark fantasy.

Bien que les détails de l’intrigue n’aient pas été dévoilés, la narration de Weird West semble privilégier les expériences uniques du joueur aux cutscenes traditionnelles. Avec cette approche dynamique, la véritable histoire vient de la façon dont le jeu réagit aux actions du joueur.

“Dans mon monde idéal, honnêtement, il n’y aurait pas de cutscenes – ce qui est bizarre à dire en tant qu’écrivain”, déclare Loredo. “Je pense qu’elles peuvent être utilisées efficacement… mais ont-elles vraiment leur place dans ce média ?”

Pour Lui, enlever le contrôle au joueur crée des expériences qui “ne sont pas la réalisation la plus aboutie du support.” Ce qui enthousiasme Loredo, c’est la recherche et le développement d’une source alternative de narration dans les jeux, qui semble plus naturelle.

“À quoi cela ressemble-t-il de raconter une super histoire dans un jeu sans cutscenes ?”, dit Loredo. “Comment réaliseriez-tu The Last of Us Part II sans cutscenes ? Je ne le sais pas vraiment, mais je suis curieux de participer à la recherche de cette réponse.”

Le parcours personnel de Loredo avec les jeux a commencé dans les univers variés de Nintendo. Super Mario World, Donkey Kong et (après avoir résisté à sa popularité initiale et épuisé les autres locations de Blockbuster) The Legend of Zelda : Ocarina of Time ont été des influences majeures pour lui.

“Il y a un niveau de fantaisie, de bienveillance et d’espièglerie qui résonnent vraiment en moi”, dit-il, en reliant son expérience de Zelda à ses films préférés de Miyazaki et Pixar. Je me souviens avoir couru dans la forêt de Kokiri et m’être dit : “Oh mon Dieu, qu’est-ce que c’est ? Je n’ai jamais joué à quelque chose comme ça auparavant'”.

Mais quand il s’est rendu compte que l’écriture et la conception de jeux étaient même une carrière possible, c’est en Metroid Prime qu’il a trouvé sa plus forte caisse de résonance – un autre jeu qui raconte principalement son histoire sans cutscenes (la grande majorité étant utilisée pour introduire les boss). Au lieu de cela, les joueurs reconstituent ce qui se passe en analysant les journaux des ennemis, les textes anciens, etc.

“Je me souviens y avoir joué au collège et d’avoir été happé par les environnements, l’histoire des Chozo et la musique”, raconte Loredo. Je peux encore jouer “Phendrana Drifts” dans ma tête quand j’en ai envie… c’est incroyable !”

Sa crainte initiale s’est transformée en curiosité, l’amenant à trouver l’équipe de développement travaillant dans sa ville natale d’Austin, au Texas : “Je me souviens avoir consulté le tableau d’affichage des offres d’emploi de Retro Studios quand j’avais 13 ans pour voir s’ils avaient un poste de concierge ou quelque chose que je pourrais faire – juste pour pouvoir être dans le bâtiment où ils faisaient des jeux.”

Le chemin ultime de Loredo vers l’écriture de jeux n’est pas passé par Retro ou par un travail de concierge dans un grand parc de bureaux – il a plutôt rejoint les rangs de Raphaël Colantonio et Julien Roby, respectivement ex-directeur créatif et ex-producteur exécutif d’Arkane Studios, dans l’équipe internationale de Wolfeye Studios, développeur de Weird West, en tant que concepteur narratif. Mais avant de pouvoir raconter des histoires de cow-boys malchanceux et de monstres féroces, Loredo a dû affiner sa narration sur une scène plus petite et plus intime.

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Loredo admet qu’il “détestait déjà la lecture quand il était enfant”, jusqu’à ce qu’un professeur de lycée lui fasse découvrir des textes influents comme L’attrape-cœurs de J.D. Salinger et The Things They Carried de Tim O’Brien. Des travaux d’écriture ultérieurs ont fait naître chez lui une passion créative pour la fiction courte, à un moment critique de sa vie. Sa mère est décédée lorsqu’il était jeune, et l’écriture lui a permis de canaliser son chagrin.

“Je pense qu’une grande partie de mes premiers écrits était liée au fait que je voulais communiquer avec mon père sur des sujets précis”, explique Loredo. “Il prenait le temps de s’asseoir et de lire, et j’avais l’impression d’avoir toute son attention… J’ai eu envie d’écrire des histoires que mon père lirait pour l’aider à mieux comprendre ce que je vivais.”

Loredo insérait des sosies de lui-même et d’autres personnages de sa vie dans ses fictions, comme Danny, un personnage récurrent qui avait perdu un parent et qui avait du mal à tisser des liens avec le survivant, ou Leo, un père qui réintègre le monde des rencontres après être devenu veuf.

“C’était comme mon univers Marvel, avec plein de douleur et de mort”, plaisante Loredo. Mais c’est un univers qui l’a aidé à traiter des émotions complexes tout en créant des personnes et des lieux nouveaux et crédibles.

Les nouvelles fictions de Loredo lui ont valu d’être accepté au Michener Center for Writers de l’université du Texas, un programme compétitif de maîtrise en beaux-arts qui a modifié la trajectoire de sa carrière de manière surprenante. Loredo s’est inscrit à un cours sur l’écriture de jeux vidéo dispensé par Susan O’Connor – une figure vénérable dont le portfolio comprend BioShock, Far Cry 2 et le reboot de Tomb Raider en 2013 – et les deux ont immédiatement sympathisé.

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“Elle est si chaleureuse et si passionnante”, dit Loredo. “Elle et moi avons juste vibré l’un avec l’autre si bien et la façon dont elle parlait de l’écriture de jeux dans ce cours était fascinante pour moi et vraiment “à croquer”.”

Le cours d’O’Connor a permis à Loredo d’élargir ses compétences, notamment en créant un “jeu de rap freestyle sur le thème de la lutte contre les Pokémon”. Mais ce n’est que six mois après l’obtention de son diplôme, alors que Loredo travaillait dans un bar local de smoothies, qu’O’Connor lui a proposé une opportunité et lui a fortement recommandé de rejoindre Wolfeye Studios dans le cadre de leur projet de lancement.

Avec ses sentiers sinueux et ses paysages denses, Weird West s’est avéré être un défi bienvenu pour Loredo. Pour passer de l’écriture de fiction traditionnelle à l’élaboration de la narration d’un jeu vidéo, Loredo a dû repenser les principes fondamentaux.

Tout d’abord, l’hypothèse selon laquelle l’écriture de scripts de jeux suit le mode des scénarios de films typiques – comme les cutscenes ont tendance à le faire . En vérité, “c’est plus proche de la création d’une expérience théâtrale immersive”. L’écriture de Loredo doit tenir compte des constantes et des variables influencées par le joueur, ce qui signifie que l’accent est mis sur la narration environnementale plutôt que sur les dialogues.

“L’outil le plus puissant dont je dispose est d’imaginer des environnements dans lesquels le joueur pourrait se déplacer pour pouvoir communiquer à mon concepteur de niveaux les histoires de ces espaces – la façon dont la scène est décorée et comment les PNJ se déplacent dans l’espace, par exemple”, explique-t-il.

Pour Loredo, le design narratif est “le terrain de jeu ultime” pour les auteurs qui, comme lui, sont “intéressés à s’exprimer non seulement par des mots, mais aussi par des idées, des objets, des décors et des ambiances.”

“[Ce type d’écriture] est tellement plus vaste que la fiction [en prose]”, poursuit-il. “C’est un peu comme si vous aviez un milliard de jouets avec lesquels jouer”.

Lorsqu’il cherche l’inspiration dans le monde des jeux, Loredo atterrit sur deux exemples dramatiquement différents de narration : “Si vous pensez à un jeu comme The Legend of Zelda : Breath of the Wild, il y a cette histoire qui se passe sur le chemin principal… mais quand je repense à mon expérience, ce n’est même pas la chose dont je me souviens le plus. Je me souviens des mécanismes de gameplay et de la façon dont ils interagissent les uns avec les autres pour créer une histoire qui m’était propre.”

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Des fonctionnalités comme l’escalade, le parapente, le système d’éléments et de physique, et la possibilité de personnaliser les cartes avec des marqueur pouvant indiquer les points d’intérêt, tout cela équivaut à une histoire personnalisée — qui n’est jamais transmise dans les (brèves) cutscenes du jeu.

“L’histoire, c’est la confrontation et sa résolution”, explique Loredo. “C’est une chaîne d’événements qui, espérons-le, mène quelque part. Il y a tout ce contenu entre A et B qui crée l’histoire et le joueur doit être capable d’y voir quelque chose d’attrayant. Je dois m’assurer qu’entre les points A et B, il y aura des choses qui créeront un conflit. Tant que cet espace est rempli de pépites de défi, d’intrigue, qu’il est suffisamment dense… peu importe où se trouve A et peu importe où se trouve B, ce sera intéressant.”

What Remains of Edith Finch, de Giant Sparrow, utilise des techniques de narration d’auteur et intentionnelles, limitant comparativement l’action du joueur et lui demandant au contraire de s’immerger dans la fiction et le niveau avec un contrôle minimal. Pour Loredo, il s’agit d’une “expérience beaucoup plus contenue avec beaucoup moins de verbes” par rapport à l’aventure Hylian, mais qui trouve toujours sa voix narrative de manière unique.

“J’ai été si impressionné par la façon dont la narration arrive et apparaît sous forme de texte à l’écran”, explique Loredo. “Les lettres elles-mêmes sont des objets en 3D modélisées dans le monde que vous pouvez pousser et déplacer.”

De plus, l’univers du jeu lui-même – une maison de famille tout droit sortie d’un conte folklorique “maximaliste au énième degré” à la Lemony Snicket – s’affirme comme une partie intégrante du gameplay en demandant au joueur d’effectuer un léger travail de détective.

” Démêler l’histoire est gamifié “, explique Loredo. “Chaque centimètre carré de cet espace, les photographies, les écrits, la boîte à musique… [Giant Sparrow [le studio de devs de Edit Finch]] l’a doté d’une grande interactivité.”

De l’autre côté de cette boucle de rétroaction ciblée, l’histoire offre une finalité gratifiante au joueur.

” Les pépites de l’histoire sont vraiment bien écrites, donc je me sens motivé “, dit Loredo, comparant cette structure au système de combat et de loot de Diablo.

Pour l’avenir, Loredo s’intéresse à la façon dont les mécanismes de jeu peuvent contribuer à susciter une histoire sans l’interruption des scènes coupées. Et pour Weird West, Loredo veut que les joueurs aient le sentiment que leur temps est respecté grâce à un monde efficace et immersif.

“Ce sur quoi je dois continuer à travailler en tant que concepteur narratif, c’est essentiellement la création d’espaces avec un sens du mystère si convaincant que le joueur ne peut s’empêcher d’aller enquêter”, explique Loredo. “Si je peux faire ça dans un jeu, alors le joueur jouera 100 heures”.

Merci à Goat_Buster pour l’aide à la traduction.

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