Juste. On s’efforce de l’être, on ne l’est jamais vraiment. Début pompeux pour une critique poussive que je voulais faire à reculons sur un ton pseudo-objectif en espérant épargner les sensibilités de l’équipe qui a fourni avec gentillesse la copie presse qui m’a permis de découvrir le soft du jour. Développé par Stormind Games et édité par Team 17, Batora : Lost Haven est un jeu d’action / aventure / tir en vue subjective mâtiné d’éléments de jeu de rôle. C’est un jeu ambitieux, réalisé sous Unreal Engine 4 et qui compte conter (bon, laissez la moi celle-là) une histoire non linéaire dans un univers lorgnant science-fantaisie. Comme je l’ai dit précédemment, j’avais l’intention de ménager la chèvre et le chou, en épargnant l’acidité dont je peux faire preuve en critiquant un jeu qui m’a provoqué -non pas une répulsion épidermique et une haine franche- mais un ennui au début poli, mais de plus en plus insupportable à mesure que j’ai persévéré dans l’aventure. J’ai donc décidé d’assumer un ton un peu brutal, dont l’objet est de témoigner au plus proche de mon ressenti, tout en rendant à César ce qui lui appartient, Batora n’est pas un mauvais jeu mal réalisé, les personnes derrière savent ce qu’elles font et sont compétentes…
… elles ont juste accouché d’un projet mal abouti qui peine sérieusement à se justifier. On démarre ?

Après pareille introduction, les dents grincent déjà, et c’est normal. Le premier contact  n’est pourtant pas franchement déplaisant : avec des cinématiques en 3D réalisées avec un certain soin et un effort fait dans le doublage intégral des protagonistes (et un jeu tout à fait compétent) je m’étais dit que Stormind Games avaient de grandes intentions narratives, et j’étais curieux de voir comment ils mèneraient cette barque.

Le premier cahot sur la route vint au moment où j’ai constaté le ton employé par les protagonistes, souhaitant au plus vite caractériser les personnages, le duo de protagonistes coche un ensemble maladroit de traits de caractères un peu trop commun : l’une, imprudente et légère, l’autre, anxieuse et grave, imposent dès lors un contraste trop souvent proposé dans les récits, je voyais d’avance l’évolution à venir des protagonistes et il me fut très difficile de m’attacher à elle.

A ce mauvais premier constat, s’impose vite un autre : la caméra en vue isométrique et la petitesse du personnage que l’on contrôle me faisait craindre une lisibilité plus que limitée de l’action. Pour l’instant, c’était supportable, mais par la suite, dès qu’il y eut des ennemis à l’écran, ça n’a pas manqué, entre les adversaires aux couleurs et effets de lumière trop vifs et notre personnage trop petit, ce fut vite le chaos. Les combats qui apparaissent assez vite au cours de l’aventure, proposent deux postures : l’une à distance, l’autre au corps à corps. Cette idée de combiner deux styles de combats et permettre le changement à la volée (d’une simple touche !) était intéressante. Hélas, en plus de la lisibilité traîtresse, c’est la variété du comportement du bestiaire qui coince, loin de réussir à dynamiser un rythme pas franchement effréné.

Les contrôles sont cela dit simples et permettent de prendre rapidement en main l’ensemble, le souci de ce point de vue, c’est que cette simplicité n’ouvre pas la porte à une couche de profondeur supplémentaire qui aurait permis de rompre la monotonie qui s’installe très vite dans des affrontements ni palpitants, ni lisibles. J’ajouterai que si les contrôles sont simples, ils ne sont pas très précis, notamment pour ce qui est des combats à distance où j’ai l’impression que la visée manque cruellement de souplesse, comme si notre personnage ne pouvait tirer qu’à une douzaine d’axes autour de lui. Douze, ça paraît beaucoup, mais dans le feu d’une action qui demande souvent de la précision (les ennemis peuvent aussi être assez petits) et bien ça ne l’est pas DU TOUT. Ce n’est donc pas dans ses combats que Batora : Lost Haven brillera.

Ceci étant dit, il n’est pas que combat, et les phases de puzzle vous offriront des séquences relativement intelligentes et variées qui se produiront par contre dans le même type d’environnement épuré et un peu terne. Dommage, parce que les puzzles sont les moments où j’ai le plus apprécié l’aventure. N’attendez pas grand chose de la personnalisation de vos compétences ou de votre équipement, à part l’enchâssement de runes ayant avant tout pour rôle de jouer sur vos attributs passif, rien ne viendra chambouler la boucle de gameplay : « what you see is what you get » comme on dit chez nos amis de la perfide Albion.

Pourquoi perfide ? Parce que je suis de mauvais poil, et que tout le monde peut prendre cher quand je suis dans cet état. Pourquoi Albion ? Parce que le système d’alignement de Batora : Lost Haven m’évoque le très cher à mon cœur Fable. Vous aimez Fable ? Moi je ne l’aime pas : je l’adore. Sa simplicité et sa candeur de façade m’ont toujours fasciné, et avec son système de choix et d’alignement, Batora : Lost Haven a tenté de faire comme le jeu de feu Lionhead Studio : nous impliquer dans son récit et nous donner un sentiment d’impact sur la narration.

A nouveau hélas, difficile de sentir le poids de nos décisions avant bien plus tard dans le jeu, ou un brutal changement d’atmosphère où le jeu passe de déconnade un peu Z assumée à un ton façon oncle Ben de Spiderman (le premier qui cite la phrase se prend un coup de douze… Et j’ai pas de douze !) permet au titre de nous juger dans notre manière de décider. Le problème de cette rupture de ton mal amenée, c’est qu’elle aurait pu donner quelque chose de très intéressant, parce que certains dilemmes sont tout de même franchement intéressants. Pour vous illustrer le propos : devez vous obéir à une créature qui a pris en otage le père d’un jeune enfant et provoquer ainsi la mort d’une tribu entière, ou prendre le risque que le père soit tué pour épargner la tribu pas forcément innocente pour autant ? Ce n’est pas un dilemme à la Witcher, certes, mais ça n’en demeure pas moins une situation intéressante qui, bien amenée, aurait pu apporter une profondeur bienvenue au récit.

On se consolera en remarquant que notre alignement influe sur les runes que l’on reçoit pour améliorer notre personnage, une touche appréciable.

Ce constat autour du gameplay et de la narration, mi-figue, mi-raisin, se retrouve malheureusement dans la réalisation. Plutôt joli compte tenu de la variété des supports sur lesquels il sort, Batora : Lost Haven offre quelques environnements aux couleurs très contrastées rendant plutôt bien. On trouvera aussi une belle variété de biomes, cela dit -et c’est malheureux- je ne trouve pas qu’il y ait de lieux particulièrement marquants. Pour tout dire, j’ai été surpris qu’un grand soin ait été investi pour rendre vivant la première ville qui n’est finalement visuellement pas si attrayante. J’ai l’impression que sur ce projet, beaucoup de soin a été investi là où ce n’était finalement pas toujours pertinent.

J’ai encore une petite bastos à réserver au jeu : malheureusement, les musiques ne sont elles aussi, pas mémorables, et participent à ce manque flagrant d’identité, qu’elle soit visuelle, mécanique, ou narrative. Batora : Lost Haven aurait selon moi gagné à faire comme un jeu qu’il m’a un peu évoqué : Stories Path of Destinies. Un jeu narratif d’aventure / action simple, très épuré, inspiré des roguelike avec une narration assurée par un seul personnage parlant qui interprétait chaque protagoniste comme le ferait un conteur. Chaque choix menait directement à une conséquence directe et clairement identifiable, avec un rythme mené tambour battant et un système de combat simple et épuré. C’était léger, mais c’était limpide, engagé dans une direction claire, et visuellement comme tonalement, très semblable à ce qu’essayait d’être dans ses prémices Batora : Lost Haven.

Seulement voilà, le jeu, noyé dans ses ambitions, voulant faire un peu trop de choses avec trop peu de moyens, se perd beaucoup en chemin et ne parvient qu’à être au mieux correct (avec tout de même quelques passages drôles, quelques séquences de puzzle intéressantes et des moments esthétiquement plaisants) et au pire simplement… fonctionnel, voire parfois irritant (les combats à distance notamment). J’ai beaucoup critiqué le titre, je ne m’en excuse pas car je n’ai pas passé un bon moment, mais je tiens à faire aussi cette déclaration aux développeurs s’ils me lisent : Ce n’est pas parce que vous manquez de compétences -ni d’amour pour votre travail- que votre jeu est passable, mais parce que vous n’avez tout simplement pas eu une idée précise de ce que vous vouliez faire et de comment le faire.

Un projet comme Batora : Lost Haven, dans ses ambitions, aurait nécessité soit un budget bien plus important et des moyens humains en conséquence, soit une réduction de son envergure sur la réalisation. Utilisé l’Unreal Engine 4 comme vous l’avez fait en voulant introduire des cinématiques et une narration un minimum ambitieuse, provoque un contraste lourd à vivre avec des échanges par le biais de simples illustrations. Cela introduit d’emblée et met en évidence que si vous aviez pu, vous auriez fait plus, or, dans ce genre de situation, quand on a des ambitions narratives pour raconter quelque chose d’important, il faut éviter de rendre si tangible le fait que vous avez fait des compromis pour réaliser votre vision.

Un jeu d’aventure plus textuel, avec moins de mécaniques qui semblent toutes être des prototypes d’idées qui donneront un hypothétique jeu plus ambitieux, aurait été bien plus approprié. Parce qu’in fine, je n’ai pas su identifier ce que votre titre avait de si « particulier » qui nécessitait d’en faire un jeu d’aventure, qui finit par avoir beaucoup de briques de gameplay inabouties qui alourdissent un récit à choix moraux sur lequel vous auriez dû vous concentrer.

Car avec des puzzles du calibre proposé, et des dialogues et personnages mieux écrits (certaines séquences fonctionnent comme dit précédemment) vous auriez pu donner vie à un jeu bien plus intéressant, que j’aurais eu plaisir à traverser. En l’état, Batora : Lost Haven m’a semblé être un jeu rempli de mécaniques qui semblaient issues d’un prototype, assemblées dans un écrin visuel et technique compétent mais sans génie, qui peine à soutenir une histoire pas inintéressante, mais manquant d’entrain.

C’est juste dommage. Dommage que votre compétence et vos ambitions soient à ce point noyés par une somme regrettable de bourdes et de manquements parce que vous avez cru bien faire en étant généreux. La générosité n’est pas souhaitable quant l’on a déjà de grandes ambitions, elle ne devient qu’une distraction de trop face à l’enjeu principal qui me semblait être le vôtre au départ : raconter une histoire à choix moraux passionnante. En l’état, Batora : Lost Haven est un jeu on ne peut plus moyen, on ne peut plus dissipé, et on ne peut plus difficile à recommander, parce que je n’identifie pas ce qu’il fait de plus qu’un autre, et il ne me paraît pas non plus être plus que la somme de trop nombreux aspects mal aboutis.
Si je n’ai qu’un conseil à vous donner pour votre prochaine production, n’hésitez pas à réviser vos ambitions en cours de route si vous avez démarré en voyant trop gros, quitte à proposer un titre très épuré dont l’objectif serait, certes simple, mais limpide, afin que ses qualités ne puissent se noyer dans de trop nombreux défauts. Batora a tout du projet qui aurait pu être remarquable, mais par hubris a voulu viser le soleil en espérant accoucher de la lune. Au final, il s’est juste perdu entre les deux, sans jamais atterrir où que ce soit.

Note RPG 1 sur 5
Note testeur 05 sur 10
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6 Commentaires
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Demoniakor

Merde, j’ai beau savoir désormais que le jeu est moyen, je suis toujours autant intrigué. Je vais attendre une promo, mais c’est me faire violence, huhu.

Et Fable, c’est la vie, Chasse poulet !

Killpower

Merci Marcheur de ce retour

Zemymy

Nous voilà prévenu ! Merci Marcheur pour ta prose toujours aussi plaisante à lire.

nadir1979

Fable…on t’aime…..

Killpower