Farflame de RPGWatch, a réussi à poser quelques questions à Jonas Waever de Logic Artists, au sujet d’Expeditions : Rome. Vous retrouverez l’interview originale ici qui date du 19 janvier 2022 alors que sa sortie était le lendemain. On rappelle que le studio a fermé ses portes depuis.

RPGWatch : Nous savons que le jeu n’est pas entièrement fidèle à l’Histoire. Il est basé sur des événements réels, mais il se déroulera différemment. Pourrais-tu nous donner un résumé de ce qui, selon toi, est historiquement assez authentique dans le jeu, de ce qui est basé sur l’Histoire, mais utilisé de manière plus libre et de ce qui est plutôt créatif ou fantaisiste ?

Jonas Waever : Notre approche dans l’utilisation de l’Histoire pour la série Expeditions a toujours été la même : nous essayons de rester fidèles à la réalité matérielle des lieux et de représenter les personnages historiques d’une manière qui correspond à notre propre impression de ce qu’ils étaient. De plus, les incidents déclencheurs de nos scripts sont toujours fidèles à l’Histoire. Cependant, dès que le personnage du joueur entre en scène, les jeux sont faits : c’est l’histoire du joueur à partir de ce moment-là, et non celle de celui qui a façonné l’Histoire dans le monde réel.

En d’autres termes, vous constaterez que les tenues et les armures, les armes, l’architecture, les infrastructures et autres technologies sont toutes authentiques au lieu et à l’époque où se déroule le jeu. Néanmoins, les événements réels qui se déroulent dans le jeu ne sont pas fidèles à l’Histoire, même si nous faisons de notre mieux pour nous en tenir à des choses qui semblent avoir pu se produire. Cette liberté de création est, à notre avis, l’un des principaux attraits du jeu : vous pouvez façonner l’Histoire vous-même, avec vos propres choix et décisions.

RPGWatch : Vous avez fait des recherches sur l’histoire et l’art romains, je suppose donc que vous avez exploré les travaux de S.J. Frontin sur les tactiques romaines. C’est un aperçu fascinant de l’armée romaine. Peux-tu nous dire si tu as été inspiré dans certaines quêtes ou stratégies par des batailles de légionnaires, ou dans certains dialogues – par exemple si vous parlez de stratégie avec d’autres militaires ? Le jeu raconte l’histoire d’un commandant romain, et ce type de dialogue pourrait être vraiment immersif.

Jonas : Je vais te confier quelque chose : je ne suis pas un grand fan d’histoire de la guerre. Mon intérêt pour l’Histoire se situe davantage dans les domaines de la culture, de la politique, de la sociologie, des personnes et de la vie quotidienne. Malheureusement, je n’ai pas lu Frontin, la seule source primaire que j’ai recherchée en ce qui concerne la guerre romaine était Commentarii de Bello Gallico (Commentaires sur la guerre des Gaules) par le grand patron lui-même, Jules César – qui doit bien sûr être pris avec d’énormes pincettes. 

Certains des événements qui se déroulent dans Expeditions : Rome sont directement tirés de manœuvres militaires réelles au cours de la Troisième guerre de Mithridate ou de la Guerre des Gaules, donc je suis sûr que les amateurs d’Histoire ne seront pas déçus, tant que vous ne vous attendez pas à passer beaucoup de temps à approfondir les tactiques militaires romaines dans nos dialogues.

RPGWatch : Rome ne représente-t-elle qu’une seule grande carte dans le jeu ou y a-t-il plusieurs petites cartes autour de la ville ? Quelque chose comme la ferme d’Erling près de votre propriété dans Expeditions : Viking.

Jonas : Rome se compose de plusieurs niveaux différents qui sont reliés par une carte en 2D où vous sélectionnez l’endroit où vous voulez aller. En ce sens, il fonctionne différemment de nos campagnes où les niveaux sont reliés par une carte du monde 3D traversable. Vous y avez votre propre villa familiale, vous pouvez visiter le Sénat, et il y a un grand marché près du Forum, entre autres.

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RPGWatch : Dans les jeux historiques, la variété des ennemis est généralement moindre, car vous combattez des guerriers humains (souvent similaires). Y a-t-il des combats spéciaux à Rome, comme ce faux « combat contre les démons » dans Viking ? Ou y a-t-il une quête où vous vous battez dans une arène de gladiateurs ? 

Jonas: Nous avons été très conscients de ce défi pour Rome, et l’un des objectifs principaux de notre concepteur des combats était d’assurer la plus grande variété de types d’ennemis humains possible. Chaque culture que vous rencontrez dans le jeu possède sa propre version des quatre classes de base, mais en plus, chaque culture possède également quelques types d’ennemis spéciaux qui ont des capacités et des comportements uniques.

Par exemple, en Grèce, vous rencontrerez fréquemment des assassins capables de se camoufler pour exécuter des attaques furtives, tandis que chez les Nasamons, en Afrique du Nord, vous rencontrerez souvent des berserkers qui se remettront sur pied pour vous asséner une dernière attaque puissante avant de mourir. C’est probablement la partie la plus difficile de la conception de nos ennemis, mais c’est dans le but de s’assurer que le gameplay reste varié au cours d’une histoire aussi longue. Quant aux éléments plus fantastiques, nous les avons un peu réduits par rapport à Viking. Expeditions : Rome est certainement l’épisode le plus abouti de la série jusqu’à présent.

RPGWatch : Il y a une carte du monde et différents types de missions. Cette couche stratégique est-elle en quelque sorte dynamique ? Par exemple, si vous conquérez un endroit sur la carte du monde, les ennemis peuvent-ils le reprendre plus tard ?

Jonas : En effet, l’ennemi lancera des contre-attaques et tentera de reprendre les régions que vous lui avez prises, et si jamais vous perdez votre dernier avant-poste, cela provoquera une fin de partie. En outre, si vous ne réduisez pas suffisamment la force d’une armée ennemie au cours d’une bataille, le reste de ses troupes se retirera pour rejoindre une armée alliée proche ayant besoin de renforts. Il y a donc des éléments dynamiques de ce genre dans le jeu. 


RPGWatch : Le jeu propose des batailles de légions sous forme de mini-jeux. Je me demande ce qui se passe si vous perdez une bataille avec des pertes importantes ? Devrez-vous répéter certaines missions pour récupérer vos soldats et vos ressources ? Ou bien les missions réitérables n’existent-elles pas ?

Jonas : Il y a des missions réitérables pour lesquelles vous pouvez déployer votre légion sur la carte du monde, qui vous accorderont différents types de ressources en fonction de la mission. Lorsque vous subissez des pertes considérables au combat, vous devrez dépenser des deniers pour recruter de nouveaux légionnaires afin de remplacer ceux que vous avez perdus. Si vos effectifs descendent en dessous de 1 200, vous ne pourrez plus attaquer une région ennemie, vous devrez donc reconstituer vos effectifs avant de pouvoir continuer.

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RPGWatch : L’un des points forts d’Expeditions : Rome sont les sièges. Cela ressemble à des scénarios de bataille complexes. Cela fonctionne-t-il comme un ensemble de missions linéaires ? Par exemple, vous devez défendre votre artillerie contre une contre-attaque, puis repousser les renforts ennemis, puis mener une attaque sur la porte X, etc. Ou est-ce plutôt que chaque mission (phase) peut avoir des résultats différents et des influences sur la mission suivante ? Ou peut-être est-ce plus proche d’un RPG – vous vous déplacez librement sur la carte du siège et aidez les différentes unités romaines à atteindre leurs objectifs dans le siège ?

Jonas : C’est comme vos deux premiers exemples ! Chaque siège a une structure unique basée sur la situation stratégique de cette bataille. Certaines rencontres sont simplement séquentielles, c’est-à-dire que vous devez en terminer une pour passer à la suivante. Les autres rencontres peuvent être ratées sans perdre le siège, mais un échec ou une réussite partielle aura des effets négatifs sur la rencontre suivante. Certaines rencontres se déroulent même en parallèle, le jeu permettant de basculer votre contrôle entre deux groupes de combat différents pour jouer les deux côtés d’un double assaut en même temps. Ajoutez à cela quelques mécanismes uniques qui n’apparaissent que dans les sièges, comme la possibilité de faire appel à des catapultes, et vous comprendrez que les sièges sont le couronnement gratifiant d’une longue campagne de conquête et de diplomatie.

RPGWatch : Nous savons que le jeu n’a pas de caractéristiques comme la force, la dextérité, etc. Il s’agit principalement de compétences de classe et d’objets (compétences d’objet). Pouvez-vous me dire ce qui se passe lorsque le héros s’améliore et comment fonctionne l’armure ? 

Jonas : Le fait de monter d’un niveau vous donne plus de santé, 1 point de compétence, plus de dégâts avec les attaques à mains nues, et, à certains niveaux, une nouvelle technique d’attaque à mains nues. Tout le reste vient de votre équipement. 
L’armure fait en effet partie des statistiques, les points de dégâts étant décomptés sur cet équipement à chaque attaque contre le personnage. Mais les dégâts critiques n’en tiennent pas compte, et les armes à deux mains ont la capacité de « déchiqueter » l’armure de la cible, ce qui l’amoindrit de façon permanente jusqu’à la fin du combat. En plus de la statistique de l’armure, les tenues offrent également une résistance aux dégâts, qui correspond à un simple pourcentage de chance qu’une attaque avec un certain type de dégâts soit réduite à un « coup superficiel ».

Les coups superficiels n’infligent que 25 % des dégâts que l’attaque aurait normalement dû infliger, et n’appliquent aucun autre effet à la cible. Tout fan de RPG devrait être familier avec les types de dégâts : dégâts contondants, dégâts coupants et dégâts perforants.
Enfin, il y a aussi la résistance au feu et au poison, qui déterminent la probabilité d’éviter d’être empoisonné ou de se faire brûler. 

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RPGWatch : Pouvez-vous me donner un exemple d’une arme puissante unique qui a sa propre « histoire » dans le jeu ? Quelque chose comme un artefact magique, mais sans vraie magie, bien sûr.

Jonas : La dague de Toutankhamon en est probablement l’exemple le plus notable. Célèbre, sa lame a été fabriquée avec le fer extrait d’une météorite. Lorsque vous la trouverez, elle ne pourra pas être utilisée en combat tout de suite, vous devrez donc trouver un moyen de la reforger avant de pouvoir vous en équiper.

Nous avons de nombreux « objets légendaires » dans le jeu, et tous ont leurs propres « capacités». Ce sont des propriétés uniques qui les distinguent énormément de tous les autres objets. Par exemple, dans la démo, si vous tuez le triarque Geminus dans la toute première scène, vous obtiendrez sa lance personnelle lorsque vous parlerez à Bestia une fois arrivé à l’avant-poste de Lucullus – sa capacité ajoute l’effet d’état « Harassé » à chaque attaque que vous effectuez avec elle, ce qui diminue les dégâts de la cible aux tours suivants. Bien qu’il s’agisse d’un exemple assez conservateur, certaines capacités changent complètement la donne en ce qui concerne l’utilisation de l’objet sur lequel elles sont appliquées. Si vous aimez une capacité particulière, mais que vous n’êtes pas fan de l’arme elle-même, vous pouvez la démonter et utiliser son composant d’artisanat unique pour l’appliquer à un autre objet, à condition que celui-ci ne soit pas déjà doté d’une autre capacité.


RPGWatch : Les portraits géniaux du jeu ont-ils été créés par un ou plusieurs artistes ? Je tiens à saluer ici leur travail, car j’ose prétendre qu’Expeditions : Rome possède LES MEILLEURS PORTRAITS parmi les jeux RPG/aventure/VN du marché ! Et je ne parle pas seulement de la qualité – j’aime leur grande taille et le fait que l’on puisse voir les détails sur leur poitrine et leurs vêtements.
Cela ajoute BEAUCOUP à l’immersion dans les RPG où l’on voit le monde d’en haut. Je pense que d’autres développeurs devraient prendre exemple sur vous, car certains RPG isométriques ont également de bons portraits, mais ils sont assez petits – et c’est une erreur, à mon avis. Peux-tu me dire pourquoi vous avez décidé de les rendre si grands et détaillés – car je suppose qu’au départ, cela ne ressemblait pas à cela ? Les portraits dans Viking étaient également plus petits.

Jonas : Nos portraits ont été dessinés par le studio d’art Volta sur la base des dessins de l’un de nos artistes 2D, Yigitcan Önal, et sous la supervision de notre directeur artistique, August Hansen. Ils étaient aussi grands dès le départ parce que nous voulions les utiliser pendant les événements de la mappemonde, où ils occupent presque la moitié de l’écran. En effet, lors d’un dialogue normal, ils étaient à l’origine confinés à de petites cases de part et d’autre de la fenêtre de dialogue.

La conception finale des fenêtres de dialogue a été réalisée par notre incroyable conceptrice d’interface utilisateur, Anca Albu, et une fois que nous avons vu à quel point elles étaient belles et détaillées, nous ne voulions tout simplement pas tirer un trait sur tout un tas d’éléments supplémentaires. C’est comme tu le dis : le fait d’avoir tout le haut du corps visible nous permet de leur offrir des accessoires et des poses qui ajoutent beaucoup à leur personnalité. J’aime particulièrement le portrait de Ptolémée, qui dégage une arrogance mesquine.

RPGWatch : L’un des thèmes de l’histoire est le poids du commandement. On sera confronté à des dilemmes sur ce que l’on doit faire avec nos ennemis, à qui on peut faire confiance, etc. Mais on sera également confronté à des « dilemmes » concernant notre engagement envers Rome. Parce que malgré la moralité et les vues idéalistes que vous avez de Rome, les politiciens et les soldats romains n’ont pas forcément le même niveau d’honnêteté. Quel a été ton approche ou ton objectif concernant ce thème complexe.

Jonas : Vous serez certainement confronté à de tels dilemmes, surtout lorsque vous parcourrez Rome. Comme toujours, notre objectif était de montrer autant de nuances et de complexité que possible dans l’histoire, en utilisant une variété aussi large que possible de personnages avec des intentions cachées et des attitudes différentes. Comme le savent tous ceux qui ont un tant soit peu étudié la Rome antique, le matériau de base est un véritable trésor d’inspiration.

On voit tout de suite à quel point la situation politique était complexe et conflictuelle à la fin de l’ère de la République, donc tout ce que nous avions à faire était d’essayer de la représenter fidèlement dans le jeu et de donner au joueur de nombreuses occasions de s’engager dans ce contenu et de nombreuses options sur la façon dont son personnage devrait réagir à tout cela. L’avantage du genre RPG est que vous pouvez faire confiance au joueur pour aller parler aux gens et apprendre à les connaître. Ce genre est donc parfaitement adapté pour raconter le type d’histoire que présente la véritable histoire de la République de Rome.

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RPGWatch : Rencontrera-t-on d’autres Scythes dans le jeu, en dehors de Deianeira ?

Jonas : Deianeira est notre seul personnage scythe. L’Asie Mineure est le point le plus à l’est du jeu, et la seule raison pour laquelle vous rencontrez Deianeira est qu’elle a été capturée et emmenée en Thrace, où vous la rencontrez. 
C’est en partie ce qui fait d’elle un personnage si intéressant : elle est la seule personne du jeu qui croit en une religion monothéiste.


RPGWatch : J’espère qu’Expeditions : Rome marchera bien et qu’il y aura un nouveau jeu Expeditions. La dernière question est donc à la fois une suggestion et une question. Je te présente quelques idées pour un prochain jeu et je me demande si tu penses que cela sera suffisamment intéressant ?

  • Expeditions: Iroquez ou Algonquin
    Exploration européenne de la région du fleuve Hudson en Amérique du Nord au 17e siècle. Assez équilibré entre dialogues (rencontre avec des tribus indiennes ou d’autres explorateurs)/survie/batailles. Et si Rome a pour thème le poids du commandement, celui-ci pourrait avoir pour thème intéressant un conflit entre l’exploration pour la science/le commerce et l’exploitation militaire des autochtones, car votre royaume est en guerre et votre roi voudrait exploiter votre expédition à des fins militaires.
  • Expeditions: Samouraï
    L’aventure d’un marin/soldat européen dans le Japon du 17e siècle. Vous voulez offrir vos services, votre navire et vos armes, mais comme votre navire a été endommagé dans la tempête, vous cherchez aussi de l’aide. Au fil du temps, vous vous plongerez dans les intrigues et les guerres entre samouraïs. Vous feriez de votre vaisseau votre base principale.
  • Expeditions: Mongols

Les hordes mongoles ont gagné la bataille de Legnica et viennent piller l’Europe centrale. Vous êtes un chevalier polonais, allemand ou tchèque qui arrive trop tard dans la bataille et tente maintenant d’organiser la défense. Vous rencontrerez d’autres nobles, obtiendrez des renforts, défendrez des châteaux, engagerez des nomades Coumans et espionnerez les Mongols afin de les affaiblir lentement. Il s’agirait d’une campagne unique dans le sens où vous commencez avec des forces minimales contre une formidable armée. Vous ne pouvez donc pas gagner au combat – vous avez besoin de votre esprit, de votre diplomatie, de vos stratégies, de votre charisme pour rallier des troupes n’importe où, même parmi d’anciens ennemis.

  • Expeditions: Magalhaes

Vous voulez faire le tour du monde en bateau comme le célèbre Magellan, mais votre ancien compagnon vous trahit et s’associe à d’autres nations pour mener la même expédition. Et vous êtes donc en compétition pour savoir qui sera le premier. Vous explorerez de nombreux endroits exotiques, certains en Afrique, d’autres en Inde, des îles en Océanie, etc.

Jonas : Ce sont de super idées ! Lorsque l’on réfléchit à l’idée d’une nouvelle version d’Expeditions, je pense que la chose la plus importante à garder à l’esprit est que le joueur doit être une sorte d’envahisseur, ou au moins un intrus dans un pays étranger. Mais bien sûr, une franchise ne devrait jamais être prise dans un carcan, alors peut-être qu’Expeditions: Mongols pourrait être une bouffée d’air frais pour la série ! En fin de compte, je ne sais pas ce que l’avenir réserve à Expeditions, mais tant que Rome marche bien, j’aimerais bien réfléchir à ce que la série pourrait devenir dans le futur.

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