“Planifier c’est bien, être réaliste, c’est mieux.” Telle devrait être la devise des réalisateurs de jeux lorsqu’ils se lancent dans un chantier. Too Human est un jeu réalisé par Silicon Knights, sorti le 30 août 2008, édité par Microsoft Game Studios et réalisé par Dennis Dyack, l’homme qui continue de croire en des rêves défunts. Sorti uniquement sur Xbox 360 et après moult déboires juridiques du fait d’un développement chaotique et d’un partenariat aux termes non respectés avec Epic Games, le titre finira par devenir rétrocompatible, jouable et même gratuit à jamais sur Xbox One.
Tous ces paramètres font de Too Human un intéressant projet désormais accessible à tous les possesseurs d’Xbox One ou 360 ayant une connexion internet pour le télécharger. De quoi, sûrement, justifier de revenir sur ce projet à l’occasion d’un test particulièrement chargé d’émotions… Parce que je l’ai vraiment aimé, ce Too Human.

La bande à Baldr

Pardonnez la facilité de ce sous-titre, mais il me fallait bien introduire rapidement ce dont il est question. Dans Too Human, vous incarnez Baldr, un des nombreux Ases qui défendent l’humanité contre une menace composée de machines diverses. Selon les créatures de la mythologie nordique : gobelins, elfes noirs et trolls sont donc de la partie. En tant que Baldr, vous allez vite être confronté à la réalité de votre personnage : ramené à la vie après son assassinat par LokiBaldr n’existe que pour venger la mort de sa femme Nana. Ainsi, sa quête vengeresse va le conduire à s’interroger sur les vraies raisons de son assassinat et sa résurrection assurée par la technologie.

Très vite, Too Human installe une ambiance où se mêle les thèmes de la déité, de la technologie, de la créature et du créateur, sous un univers glacé, inspiré des événements du Ragnarok. La guerre fait rage entre les Ases alliés aux humains et les machines. Derrière ce contexte se cache un intéressant propos : les hommes ont un jour arrêté de prêter foi à leurs créateurs. Aussi, lorsque vint le moment où la science leur échappa et où leurs créatures se retournèrent contre eux, les hommes revinrent vers les dieux pour faire face à leurs progénitures. Un choix intéressant qui baigne Too Human dans une atmosphère délétère, où l’on sent que toute civilisation est extrêmement fragile et menacée, non seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur.

L’univers est très charismatique, il baigne dans une bande son composée par Steve Henifin (défunt il y a cela un an, juste après l’arrivée de Too Human en rétrocompatibilité Xbox One…) du plus bel effet. Si le son est loin d’être parfait, il apporte néanmoins des compositions permettant de hisser encore d’un cran le charisme du jeu, même si l’on verra que bien des points réduisent l’impact de l’atmosphère de Too Human.


Si le contexte est intéressant, voire assez fascinant, c’est malheureusement moins le cas d’une histoire qui se laisse suivre, mais à la mise en scène sans génie et à la réalisation assez douteuse. Too Human semble emprunter des animations de son développement sur trois générations de console (PS1 d’abord, puis Gamecube et enfin Xbox 360) et en souffre énormément. Si, dans les cinématiques, on ressent à la fois les effets de ce développement chaotique mais aussi la maîtrise toute relative du moteur Unreal Engine 3.0 par Silicon Knights, c’est surtout en jeu que cela se fait sentir…

… Ce qui nous amène naturellement à…

… Un jeu coincé entre trois générations

Vous savez : je ne suis pas tant regardant sur la réalisation graphique des jeux. J’ai même tendance à dire que l’obsession d’être à la pointe technologique de manière constante est bien souvent contre-productive dans le développement des jeux. Effectivement, les nouvelles technologies nécessitent du temps pour être rodées et maîtrisées par les équipes de développement. Eh bien les acteurs de Silicon Knights sont un peu tombés dans ce piège : la course à la haute définition battant son plein en début de septième génération, il était du devoir de l’équipe de rendre une copie visuellement impressionnante sur un moteur rutilant.

Bien évidemment, tout ne se passe pas comme prévu pour les développeurs : très vite, les outils fournis par Epic Games se révèlent insuffisants pour les ambitions du projet et des modifications du moteur viennent assouplir le processus créatif. Créer des outils, c’est très bien car cela expose à une optimisation plus complexe et un matériel plus lourd à gérer mais qui bien vite alourdit le développement. Alors on constate que Too Human se partage des éléments de décor fort bien détaillés voire superbes dans les arrières-plans, avec des éléments beaucoup plus grossiers et datés dans la composition de certains environnements. Le résultat est bien simple : entre les effets graphiques vieillots, des textures baveuses et des animations très rigides, Too Human fait peine à voir. Pourtant, il est à remarquer que la direction artistique, la composition des environnements, ainsi que le placement de la caméra souvent fixe, permettent à Silicon Knights de composer quelques superbes panoramas, flattant encore aujourd’hui la rétine. Encore une fois : même avec des outils techniques limités, l’art fait son oeuvre lorsqu’il est réfléchi dans son esthétisme et pas dans ses prouesses techniques.

Si les environnements s’en sortent, on ne peut pas en dire autant pour le très fragile travail de modélisation des personnages et des armures. Le tout paraît peu soigné, pour ne pas dire parodique vis à vis des armures qui semblent avoir été réalisées par des équipes différentes ne se mettant jamais d’accord sur une esthétique globale. Certains équipements font littéralement penser à du Tron, d’autres à du Warhammer 40,000, pour un résultat complètement hétéroclyte et sincèrement dégueulasse. La tambouille peut prendre lorsque l’on trouve un set d’armure unique ou même une arme liée à ce dernier, mais sinon, c’est purement et simplement un chaos visuel.

Pour ce qui est des bruitages : là encore, le sentiment qui domine est l’hétérogénéité. Si les musiques s’en sortent parfaitement grâce à leur puissance, lorsqu’il faut évoquer le caractère épique des combats de Baldr contre les machines renégates, elles se montrent beaucoup plus solennelles et intimistes lorsqu’il est en proie à des doutes identitaires profonds.

L’ennui est que les bruitages comme les doublages sont mal intégrés au jeu, mal synchronisés, pis : les personnages qui nous accompagnent passent leur temps à faire des commentaires sur l’action, commentaires peu audibles du fait d’un mixage sonore mal réalisé. Le conseil pour profiter de la bande son est donc le suivant : réduisez le volume des doublages en jeu, mais aussi celui des bruitages, avant de remonter ces derniers lors des cinématiques afin de mieux en profiter.

Une jouabilité bancale, mais furieuse… Quand elle le peut.

Je n’ai pas encore parlé du genre de jeu qu’est Too Human. On peut basiquement le considérer comme un Hack ’n’ Slash avec une composante narrative prononcée. Les deux se mêlent sans trop se confronter, l’intrigue étant plus élaborée qu’habituellement pour le genre. Seulement, si j’ai jusqu’ici présenté un jeu bancal, il faut bien admettre que ces errements seraient vite contrebalancés par une jouabilité réussie. L’ennui est qu’elle ne l’est pas – ou plutôt pas assez souvent – et je vais m’en expliquer.

Dennis Dyack a étudié la question du Hack ’n’ Slash avant de faire son titre et l’idée qui est ressortie de ses observations est plutôt pertinente : rendre nécessaire le déplacement vers un autre ennemi en plein coeur d’un combat. Cependant, le maintien ou le tapotement frénétique d’une touche pour infliger des attaques de base, nuit à la fluidité des affrontements. Dans l’idée de donner plus d’ampleur et de sensation de puissance à votre personnage, les attaques et les déplacements dans la mêlée se gèrent avec le stick analogique droit de votre manette. Inclinez le stick vers un ennemi en face de vous, et votre personnage chargera pour lui asséner une frappe qui – si vous maintenez l’inclinaison du stick – donnera lieu à des frappes multiples. Si vous voulez désengager l’ennemi et si vous avez peur de vous faire encercler, vous pouvez tout à fait incliner le stick vers un adversaire différent pour vous dégager. Si vous êtes piégé par le nombre, il vous suffira de sauter pour vous désengager de l’affrontement.

Lorsque vous êtes effectivement confronté à une marée d’ennemis, le résultat est particulièrement grisant et nerveux car on a l’impression d’être une machine à exterminer les adversaires. C’est lorsque les ennemis sont pourvus de multiples barres de vies, ou même de boucliers, que Too Human s’essaye à la stratégie de combat. Alors vous pourrez utiliser des compétences tels des cris de guerre, ou même encore des projections d’énergies à utiliser soit via une touche, soit en inclinant deux fois rapidement le stick droit dans une direction. Vous pourrez aussi, contre les ennemis les plus redoutables, déclencher des bottes spéciales en inclinant les deux sticks – droit et gauche – dans une direction.


Usine à gaz ? Oui et non. Si la prise en main est déroutante et le comportement de la caméra à régler via une pression de touche (ramenant cette dernière devant vous), on finit par se faire à ces combinaisons exotiques. Seulement, le problème de Too Human se situe dans l’équilibrage de certains adversaires qui ne sont sensibles qu’à des frappes précises sur leur corps. Cela demande de la précision dans un système de combat où les attaques sont fortement automatisées.

Ce qui nous conduit à des situations crispantes où l’on doit se situer souvent au bon endroit pour infliger des dégâts, souvent même, à des endroits qui sont peu – voire pas – accessibles selon le nombre d’ennemis présents. Il vous faudra alors nettoyer la marée d’ennemis peu redoutables pour atteindre le plus gros. D’ailleurs, ceci est un contre sens dans la mesure où ce sont ces mêmes ennemis, faciles à défaire, qui vous refileront de quoi vous soigner, ce qui se révèle souvent salvateur dans les affrontements les plus complexes.

Mais là encore, face à cette faiblesse de design, les gens de Silicon Knights ont opté pour un choix curieux : mais justifiable. Ainsi, étant un Ase, si vous êtes vaincu au combat, une Valkyrie vient vous prendre pour vous conduire… à revivre instantanément quelques mètres derrière votre défaite sans pour autant que la vie des adversaires ait remonté, ni aucun d’eux ne soit revenu d’entre les morts.

Ce qui veut littéralement dire que vous allez de toutes façons finir Too Human à l’usure si vous n’y arrivez pas. Ce qui pourrait être une idée – certes bizarre – mais finalement plutôt convenante, finit par devenir un calvaire lorsqu’on se rend compte que l’animation de mort dure environ 15 secondes. C’est irritant, vous ne savez même pas à quel point, d’autant que votre vie descend vite.

Fort heureusement, lorsque tout se passe bien, Too Human est purement jouissif et viscéral. Les premières heures sont d’ailleurs tout à fait hypnotiques, du fait d’un système de combo qui fait en sorte que, plus vous donnez de coups, plus vous faites de dégâts. Imaginez-vous propulsé dans une vague d’adversaires en les tuant tous un par un, juste avec une petite inclinaison du stick droit. Pour faire varier les plaisirs et les approches, vous avez à votre accès 5 archétypes qui se jouent plus ou moins différemment, plus rapides, plus féroces, plus résistants, plus technologiques, on peut globalement jouer avec un style différent à Too Human sauf que tous les profils ne sont pas très intéressants à jouer. Par exemple, je préfère les combattants au corps à corps, les sensations de tir et la maniabilité de la visée étant souvent assez calamiteuses.

Nous allons enfin aborder quelque chose qui fonctionne vraiment bien dans Too Human : tout ce qui touche à l’évolution du personnage ainsi que l’équipement que l’on récupère. On fait l’acquisition de nombreuses armes et armures, toutes avec des caractéristiques très différentes. Mais on récupère aussi des runes pour améliorer nos capacités ainsi que des charmes qui sont en fait autant de petits défis à déverouiller pour acquérir plus de puissance.

Le système de récupération d’objets inclut des options de recyclage qui permettent de se débarrasser des objets communs ou pas assez rares à votre goût afin de récupérer de l’argent bien utile pour se forger des armes et armures avec des plans. Tout ce système d’inventaire, d’évolution et de personnalisation du personnage est tout simplement jouissif et donne vraiment envie de s’investir dans les menus du jeu, et pour cause : tout ce contenu à gérer représente probablement un tiers du jeu, la suite étant une bonne moitié de combat, puis le reste en exploration et en narration.


Vous vous interrogez sûrement sur la durée de vie de l’ensemble ? Sachez qu’il vous faudra une grosse quinzaine d’heures pour finir une seule partie en grattant l’essentiel du contenu. En effet, cela sous-entend de venir à bout des trois grands donjons principaux, des zones secrètes, de l’exploration du territoire des Norns et de l’optimisation de son équipement dans le hub central et unique. Si la durée de vie est faible, le potentiel de rejouabilité est immense grâce à un système de progression qui va bien au-delà d’une première partie et un niveau maximum que vous ne pouvez pas atteindre en un seul passage. D’autant qu’à cela s’ajoute, pour chaque profil, la possibilité de s’orienter plutôt sur des technologies humaines ou cybernétiques.

Tout ce contenu, assure à Too Human un côté réellement addictif, qui compense partiellement les nombreux problèmes du jeu. J’ai personnellement beaucoup pesté sur les innombrables défauts, j’y suis tout de même revenu pour 5 parties complètes et un temps de jeu dépassant allègrement les 60 heures.

Agréable malgré lui ?

Lorsqu’on fait le compte de tout ce qui compose Too Human, il n’est pas difficile de conclure qu’il s’agit d’un jeu très médiocre bien qu’ intéressant mais assez mal réalisé. Ce constat est vrai, toujours vrai aujourd’hui et par de bien trop nombreux aspects le jeu de Silicon Knights semble être une oeuvre ratée voire complètement cassée. Seulement, à l’instar d’autres jeux comme Kotor II ou même un Deadly Premonition, la somme de défauts rédhibitoires pour d’autres titres, s’avère ici avec le temps et l’usage, un petit facteur charme.

Aussi curieux que cela puisse paraître, j’ai un très net souvenir de Too Human, dans ses bons et mauvais moments. C’est un jeu que j’ai connu à des âges très différents et avec des années d’intervalles entre chaque partie et je suis à chaque fois frappé par le flot d’idées et l’identité folle que le jeu dégage.

Il faudrait être complètement fou pour recommander un jeu comme Too Human. Enfin, fou dans l’idée de vous le recommander comme un bon jeu, chose que je ne ferai jamais. Cela dit, pour un ensemble de petites choses qui font les grandes, je recommande d’avoir une petite curiosité pour Too Human, de le traiter comme un petit morceau d’histoire du jeu vidéo. Car s’il se viande totalement sur de très nombreux points néanmoins il réussit des choses rarement maîtrisées dans l’industrie et s’avère vraiment addictif au fur et à mesure que l’on acquiert une compréhension globale de ses systèmes.
Cette hypnose fonctionne d’ailleurs parfaitement lorsque les affrontements se font faciles, permettant d’illustrer l’intelligence du système de combat fluidifié grâce à l’attaque via le stick droit. Malheureusement, la somme des défauts qui plombent le titre est largement suffisante pour ne pas conclure autre chose que ceci : Too Human est terriblement moyen mais parfaitement attachant. Ce qui le met dans une classe rare du jeu vidéo : ceux que l’on devrait oublier mais que l’on finit par adorer voire ressentir un profond attachement affectif pour eux. Drôle de conclusion.

+ Les compositions de Steve Henifin
+ Le système d’évolution et de personnalisation, vraiment addictif
+ La fureur occasionnelle des affrontements
+ L’univers a son charisme
+ On y retourne aisément

Note RPG 2 sur 5
Note testeur 05 sur 10

– Techniquement médiocre, visuellement en demi-teinte
– La jouabilité souvent prise en grave défaut
– Le design des armures et armes, sérieusement ?
– Peu d’environnements différents
– La cinématique de mort… Sérieusement, j’en ai développé un SPT

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