Nous sommes en 2017, alors que la page de l’âge d’or de Kickstarter commence à se tourner et que les premiers jeux financés de la sorte sont sortis, avec leur cortège de joueurs parfois déçus, parfois ravis. C’est dans ce contexte de lassitude du financement participatif, déclin qui ne cessera de se confirmer, qu’à l’époque, l’auteur de ces lignes prête peu d’attention à l’annonce du Kickstarter d’un cRPG Pathfinder par les inconnus russes de Owlcat Games.

Avouons-le, au sortir d’une époque où l’on se hypait à coup de millions de dollars récoltés par d’anciennes légendes du genre, la somme relativement basse obtenue par le studio couplé à son statut d’inconnu, n’incitait pas forcément à l’enthousiasme, même si un regard sur les prototypes et intentions de réalisation pouvait en réalité déjà se montrer rassurant à l’époque. Dans tous les cas, le jeu était complètement passé sous mon radar jusqu’à 2018 et sa sortie perturbée par les bugs et son accueil critique élogieux chez les adeptes de jeu de rôle typés Infinity Engine. Était-ce une erreur ? Oui, assurément, au vu de l’excellent jeu qu’est au final Pathfinder : Kingmaker.

Le morte d’Arthur

Dans Pathfinder: Kingnmaker, adaptant la campagne du jeu de rôle papier du même nom, vous jouez le rôle d’un aventurier ou d’une aventurière qui va être chargé par Jamandi Aldori, dirigeante de Restov, cité d’accueil d’une des familles les plus influentes du Brevoy, de conquérir les « Terres volées », un ensemble de terres très divers ayant été déserté par toute civilisation.

Votre mission sera donc, après un court prologue vous présentant un rival dans la course à l’accession au pouvoir, dans un premier temps, de défaire le Seigneur cerf, le leader d’un groupe de bandits ayant pris possession de ces Terres Volées. Par la suite, vous vous en doutez, tout comme la pénurie de fer dans la région de la porte de Baldur, cette problématique initiale ne se révélera être que prémices, et bien des surprises et des retournements de situation vous accompagneront au cours des 8 chapitres du jeu. Chapitres qui vous occuperont à minima 80 heures au total.

Story of the Secret Star System

On ne vous fera pas l’affront de présenter dans ses plus infimes détails le système de Pathfinder, d’autant que cela requerrait un article autrement plus long que cette review. Sachez cependant que celui-ci repose sur une déclinaison approfondie de Donjon et Dragons 3.5, une version particulièrement copieuse qui avait autrefois tant rebuté les adeptes de la version 2 (base de règles des Baldur’s Gate, Icewind Dale et Planescape Torment), que déplu aux amateurs des versions ultérieures (4 et 5, dernière version en date qui servira pour Baldur’s Gate III), plus accessibles et moins complexes de prime abord.

Sans tomber dans un inventaire laborieux, soyez en tout cas assuré que vous trouverez ici tout le nécessaire pour personnaliser votre personnage, avec des dizaines de classes et sous-classes, compétences, dons et autres capacités propres aux différentes professions mises à disposition. À cela s’ajoute évidemment la possibilité du multi-classage, qui permet d’acquérir des niveaux dans plusieurs classes au fur et à mesure de sa progression et donc d’acquérir de nouveaux pouvoirs potentiellement très utiles (exemples : un archer mage, un guerrier clerc, etc…).

La variété de classes du jeu de rôle papier est particulièrement bien rendue par le jeu vidéo, en tout cas mieux qu’elle ne l’a jamais été dans un jeu vidéo tiré de Donjons et Dragons, et le jeu encourage vivement à l’expérimentation et aux associations bizarroïdes. Des classes aussi variées que les alchimistes, les cinétistes ou encore les inquisiteurs fonctionnent avec des systèmes et des ressources bien particulières, rendant très tentante l’idée de lancer de nouvelles parties. Seul regret : le catalogue de sorts de magie classique, partagé entre bardes, ensorceleurs, magiciens, prêtres, dont on fait assez vite le tour quand on a un groupe de personnage orienté magie.

Le jeu fait un effort louable pour présenter de manière claire les attraits principaux de chaque classe, et même un néophyte, à condition qu’il prenne le temps de lire avec attention les textes, ne sera pas perdu. Il est régulièrement possible de survoler ou de faire un clic droit sur des éléments d’interfaces pour obtenir des informations complémentaires qui éviteront de faire des mauvais choix.

Mais soyons honnêtes : malgré tous ces garde-fous, les possibilités sont tellement immenses que vous aurez certainement envie de relancer des parties jusqu’à arriver au résultat idéal pour votre personnage. De plus, sachez que le jeu vous offre la possibilité de créer des mercenaires pour vous accompagner dans le jeu, afin que vous puissiez créer des personnages optimisés et plus originaux que les profils assez classiques offerts par les compagnons du jeu de base (même s’il est évidemment possible de multiclasser ceux-ci).

Il peut ainsi être intéressant de remplacer les compagnons au fur et à mesure de l’avancée dans le jeu, au moyen du PNJ proposant de recruter ces mercenaires, disponibles à tout moment dans la taverne de la ville, et de ne reprendre les personnages consistants qu’à l’occasion de leurs quêtes personnelles. Mais il sera aussi tout à fait possible de réserver cette approche à un second run, tant pour profiter de l’effort narratif fourni autour des quêtes de compagnons que pour se familiariser avec le gameplay du jeu. Il sera alors toujours temps de repartir avec un groupe optimisé en milieu de jeu, ou dans un second run. Une fois encore, le jeu vous laisse le choix, et c’est très bien ainsi.

Objects Disturbing Lightning

Ce système robuste, élégamment exploité par le jeu lors des phases d’exploration (escalade, soulevées de charges lourdes, test de connaissances etc…) et de dialogue (bluff, intimidation, persuasion, alignements), est extrêmement gratifiant. Les montées de niveau en particulier sont réellement satisfaisantes (sauf peut-être pour les personnages de guerriers, de toute façon peu intéressantes à jouer), car elles nous permettent d’obtenir régulièrement de nouveaux pouvoirs et de nouvelles capacités impactant drastiquement les affrontements. On se sent réellement progresser, et c’est toujours un sentiment particulièrement agréable dans un jeu de ce type.

L’obtention de nouvel équipement est également très plaisante. En effet, le loot est intégralement créé et placé à la main, et non généré aléatoirement comme ça peut être le cas dans un Divinity: Original Sin II récemment, par exemple.

Les objets répondent à la classification classique de Donjons et Dragons, avec des armes, potions, parchemins etc, incroyablement divers et de dizaines de types différents. Si la plupart des objets proposent les classiques bonus aux chances de toucher et de dégâts allant de 1 à 8, on apprécie fortement la présence d’objets « nommés », avec une fonction bien particulière qui permet de créer un véritable attachement à l’équipement.

Cependant, si on est au-dessus de la tendance récente, on pourra regretter, en ronchons amateurs de vieillerie, que les objets manquent encore de personnalité ou d’impact sur la manière de jouer ses personnages par rapport aux items d’un Baldur’s Gate II, par exemple : pas de Lilarcor, de Carsomyr ou de Robe de Vecna ici. Gageons que le travail qui sera effectué sur les armes vivantes dans Wrath of the Righteous, la suite d’ores et déjà annoncée et financée du jeu, viendra combler cette attente.

L’échine du monde

Le contenu du jeu repose sur une structure chapitrée en 8 actes. Chaque acte débute avec une phase de tranquillité, au cours de laquelle le joueur peut explorer de nouvelles zones, faire des quêtes annexes et assurer le développement de sa baronnie. Puis, au terme de cette période de grâce, apparaîtra une nouvelle quête principale à accomplir dans une certaine limite de temps. Celle-ci, lorsqu’elle s’approche de l’épuisement implique des attaques et autres calamités qui se déclenchent sur votre baronnie, affectant directement ses statistiques et pouvant à terme vous mener au game over.

L’existence de ce type de timer fait régulièrement débat chez les adeptes de CRPG, et nous avons eu l’occasion de nous pencher sur la question dans un article dédié. À notre sens, il apporte une touche de réalisme qui manque souvent à ce type de jeu, et se prête surtout très bien aux ambitions du jeu. Si l’on peut concevoir que Geralt batifole dans The Witcher 3, c’est un peu plus problématique lorsque l’on nous place dans les bottes d’un personnage avec un rôle public très présent, mis au centre de l’intrigue et du système de jeu.

De plus, le jeu, à l’instar de Fallout 1, ne nous met jamais réellement sous pression (du moins en difficulté normale), à condition de bien gérer sa baronnie dans les phases de calme. Vous aurez tout le temps nécessaire pour faire les quêtes annexes qui vous intéressent et explorer toutes les zones de la carte. Cela a également le mérite de rythmer efficacement les étapes du jeu, les phases de croissances succédant aux périodes de crise à intervalles réguliers.

Enfin, cerise sur le gâteau, le jeu prend vraiment cela en compte dans l’écriture du jeu. Le passage du temps (en années, vers la fin) est clairement perçu et mentionné par les personnages, ce qui apporte une réelle consistance et matérialité à l’aventure, qui se vit vraiment comme un grand marathon. On ne peut du coup pas s’empêcher d’être un peu déçu par les deux actes finaux du jeu qui laissent cela de côté, notamment dans la phase classique du genre où l’on doit regrouper ses alliés et faire un dernier dialogue avec ses compagnons, au cours desquels cette thématiques est pour ainsi dire absente. Une très bonne idée globalement bien exploitée mais encore perfectible en somme. Je vous renvoie vers ce chouette article de Merlanfrit qui explique plutôt bien l’intérêt de ce compteur in game. Mais si cette mécanique vous insupporte réellement, sachez qu’il existe toujours un mod pour retirer ce compteur.

Inland Empire

Mais cette baronnie menacée par l’écoulement du temps, comment la gère-t-on, me demandez-vous ? Une fois le seigneur cerf défait, vous pourrez commencer à annexer les différentes régions composant les Terres volées, et développer votre capitale et les bourgades alentour pour faire passer votre baronnie d’îlot de civilisation à véritable puissance significative.

Concrètement, cela se matérialise dans un premier temps par la construction de bâtiments dans les villes, chacun accordant des bonus différents aux 10 ressources représentant votre baronnie, que sont la population, la loyauté, l’armée, l’économie, la religion, les affaires étrangères, la stabilité, la magie, la culture et l’espionnage. Par exemple, les temples donnent de la religion, les brasseries halfelines apportent des points d’affaires étrangères, les tours de mages de la magie, etc… Quelques petites subtilités accompagnent l’agencement des villes, avec des bonus si des associations pertinentes sont faites, mais cela reste globalement assez anecdotique et il s’agit là de la partie la moins intéressante de la gestion de royaume.

Chacune de ses ressources se voit attribuer un administrateur (trésorier pour l’économie, grand diplomate pour les affaires étrangères, etc…), que vous désignez dans votre groupe de compagnons en fonction de leurs affinités et compétences, mais aussi de leur alignement. Par exemple, placer Regongar, un ancien esclave chaotique mauvais particulièrement impulsif au poste de gardien, garant de la stabilité du royaume, pourra se révéler dommageable si vous souhaitez jouer une baronnie loyale bonne. En effet, étant une tête brûlée, notre cher demi-orc aura tendance à foncer dans le tas et donc à ne pas résoudre les problèmes comme souhaité. Il ferait ainsi un bien meilleur général des armées, qui affrontent des ennemis externes et non internes.

À chaque fois que vingt points d’une ressource ont été accumulés (vous gagnez chaque semaine des points en fonction des bâtiments construits et ressources sécurisées sur la carte), votre conseiller pourra progresser d’un rang dans le niveau de cette ressource, matérialisé sur une échelle allant de 1 à 10. Cela lui permettra de mieux réussir les événements liés au maintien de cette ressource.

Chaque passage de rang pour un conseiller s’accompagne de l’obtention d’un point de crise qui permettra d’obtenir un boost de + 5 sur le jet d’une prochaine gestion de crise ou d’événement, utilisable quand le joueur le souhaite. Cependant, pour que ce niveau soit passé, il vous faudra rester en ville et soutenir votre administrateur pendant quatorze jours pour qu’il passe ce niveau. Bien entendu, cela peut avoir des conséquences importantes, puisqu’il est possible de manquer ainsi certains événements, voire de faire échouer des quêtes annexes si l’on n’est pas assez prudent.


Ces événements, parlons-en. Chaque jour ou presque, vous recevez de nouvelles notifications, avec de petits textes décrivant un problème ayant cours dans votre baronnie. Vous devez dès lors choisir l’administrateur qui va se charger de régler le problème, sachant qu’évidemment, des limitations se posent en termes de fonction (le trésorier ne pourra pas s’occuper d’une invasion de trolls).

Les événements sont scindés en trois types. Le premier, les crises, impliquent une baisse de vos statistiques en cas d’échec ou de non traitement du problème, et sont donc à traiter en priorité, puisque si une statistique tombe à zéro, le niveau de tranquillité du royaume chute (sachant qu’à -5, le jeu vous gratifie d’un game over permanent). Le second, les opportunités, sont de petits événements optionnels pouvant apporter de petits bonus aux statistiques de la baronnie. Enfin, les projets sont des chantiers au long cours, occupant durablement un administrateur, mais débloquant des bonus substantiels pour la baronnie. Cependant, le long temps requis pour les accomplir vous rend vulnérable en cas d’arrivée, au hasard, d’une crise qui n’est gérable que par ledit administrateur.

Par-delà les événements, lorsque vos administrateurs montent de niveau, ainsi qu’à des moments cruciaux de l’aventure, vous devrez vous rendre dans votre salle du trône pour prendre des décisions plus importantes, qui affecteront directement vos statistiques et l’orientation de votre royaume. Soyons honnêtes : certains choix relèvent parfois plus du roleplay, avec des impacts numéraires légers, même si en fin de partie on est bien content de ne pas avoir fait trop n’importe quoi.

Au final, le système est souple et intéressant, requérant des choix et de la réflexion à long terme. On regrettera cependant un certain manque de renouvellement dans les événements au cours du jeu, qui finissent par se répéter un peu en fin de partie. On apprécie également l’aspect très roleplay de cette simulation de royaume. En effet, les postes de conseillers se débloquent au fur et à mesure de la partie, avec par exemple l’espionnage et la gestion des affaires étrangères qui n’arrivent qu’au moment où votre baronnie est stabilisée, et où vous commencez à réellement interagir avec les puissances environnantes.

Rappelons enfin qu’il est tout à fait possible, si cet aspect du jeu ne vous intéresse pas et que vous souhaitez vous concentrer sur l’aventure et les combats, de passer la gestion du royaume en décisions automatiques, ou de simplement baisser la difficulté des jets de dés pour garantir que ça ne soit jamais un véritable problème.

Thaca lancer ce sort là

Mais trève de gestion, car qui dit Donjons et Dragons, dit bien sûr combats. Le jeu repose, à l’instar des jeux Infinity Engine, sur un système de combats en temps réel pausable, qui vous permet de bien apprécier les différentes situations grâce à la pause, tout en expédiant rapidement les combats les moins intéressants. Du très classique en somme, même si les développeurs ont eu une petite idée très sympathique, qui n’a l’air de rien au départ mais qui devient très vite addictive : nous avons en effet la possibilité de ralentir le temps pendant les combats, en plus de la pause.

Cela permet de bien observer et décomposer les actions de nos ennemis, sans avoir à toujours se retaper la lecture des logs de combats pour comprendre ce qui a bien pu se passer pour qu’un combat qui semblait gagné tourne soudainement au vinaigre. On regrettera simplement l’impossibilité de demander des enchaînements d’actions, ou de paramétrer des comportements spécifiques tels que le lancer de certains sorts ou la prise de potion dans des conditions spécifiques, comme c’était possible par exemple dans un Dragon Age: Origins.

Pour ce qui est des affrontements, le jeu fait un très bon usage du large bestiaire proposé par près de quarante ans de Donjons et Dragons, et nous propose des affrontements très divers, avec des configurations de terrain qui varient également régulièrement, avec des situations de goulot d’étranglement vous empêchant d’abuser des invocations, par exemple. Entre les monstres insensibles à la magie, ceux résistants aux énergies telles que la foudre ou les éclairs, les autres invulnérables aux dégâts des armes physiques, les monstres personnels qui ne peuvent être affrontés que par un seul de vos protagonistes, les adversaires s’attaquant directement à vos niveaux ou vos caractéristiques, et les ennemis qui ne peuvent être achevés qu’avec un certain type d’arme ou d’énergie, le jeu vous force constamment à adapter votre éventail de sorts et de buffs pour vous sortir de situations diverses.

On sent clairement que l’inspiration des combats vient des meilleurs moments d’Encounter Design des jeux de l’Infinity Engine, sur le modèle de ce que pouvait proposer par exemple Baldur’s Gate 1 et 2 avec la tour de Durlag et le donjon de Fiirkrag, ou Icewind Dale II avec la Main Tranchée. On n’atteint jamais vraiment le niveau de ces grands moments de jeu vidéo, la faute à quelques défauts qu’on évoquera plus tard, mais on sent que les développeurs ont vraiment voulu tirer le meilleur de ces références du passé, et le résultat est infiniment plus probant que dans les deux Pillars of Eternity, par exemple.

Seuls regrets : le jeu abuse en fin de partie de monstres à « aura », nécessitant la réussite de jets de sauvegarde très difficiles contre la peur pour que vos troupes ne paniquent pas, ce qui peut amener des situations frustrantes où l’on voit tout son groupe courir comme des dératés. Si accumuler des buffs avec votre prêtre ou votre barde aidera évidemment, la redondance et le caractère aléatoire de ce type de situation peut lasser. Le jeu pêche aussi occasionnellement avec du spawn abusif d’ennemis dans votre dos ou d’archers sur vos flancs, dont les tirs de barrages viendront décimer votre arrière garde.

Mais globalement, sur le plan des combats, il s’agit très certainement du meilleur résultat auquel soient parvenus les développeurs de jeux revival de l’Infinity Engine à travers le monde. D’autant que le challenge est au rendez-vous tout au long du jeu, avec notamment des boss vraiment marquants et intéressants à combattre en conclusion de chaque acte. Le dernier boss du jeu est aussi très difficile, mais intéressant, car découpé en plusieurs phases s’enchaînant de manière fluide et agréable, requérant une concentration intense du joueur.

Rappelons une fois de plus que la difficulté de Pathfinder est intégralement personnalisable, afin d’être accessible à tout type de joueur. Par exemple, il est possible de réduire spécifiquement les dégâts des coups critiques et des pièges, si l’on aime pas la part de chance qu’ils revêtent, mais aussi de baisser les statistiques de dégâts des adversaires. Il est aussi possible de vraiment modifier le système de jeu, avec par exemple la possibilité de retirer l’état « aux portes de la mort », survenant après une première perte par un personnage de tous ses points de vie et impliquant une mort permanente après une seconde, ou encore d’ajouter la possibilité de soigner les maladies et effets négatifs suite à un repos, là où cela requerrait d’ordinaire l’utilisation de sorts de haut niveau. Cette personnalisation est très bienvenue puisqu’elle permet vraiment à tout joueur de découvrir le jeu, puis de moduler en fonction de ses progrès et de ses envies, et permet également aux vétérans de se lancer régulièrement de nouveaux défis.

Tales of the Roast Coast

Mais n’oublions pas que même au milieu du jeu de rôle le plus belliciste qui soit, se cache un cœur qui bat, et que, qui dit Donjons et Dragons, dit aussi écriture et interactions sociales. Soyons francs : les qualités principales du jeu ne se trouvent pas dans sa narration. Si le catalogue de personnages est plutôt attachant malgré les clichés, et que l’histoire principale, bien rythmée et savamment égrenée au fur et à mesure de la progression, (malgré quelques longueurs en fin de jeu) se laisse suivre agréablement, on n’est pas ici au niveau d’un Pillars of Eternity, voire pas franchement même d’un Baldur’s Gate II.

Il convient cependant de saluer et repêcher l’écriture sur plusieurs points. En effet, dans son écriture globale, comprenant écriture des quêtes annexes et des dialogues, le jeu propose quasi-systématiquement de nombreuses options, adaptées à tous les grands types d’alignement de personnage, de sorte qu’il est réellement gratifiant de jouer des personnages mauvais, par exemple. Certains diront qu’il s’agit là du minimum à attendre d’un jeu D&D en 2020, mais on tient à rappeler que ça n’avait jamais vraiment été le cas dans un jeu de rôle de la franchise, que ce soit dans les Baldur’s Gate, les Neverwinter Nights ou même dans Planescape Torment, qui malgré son focus narratif manifeste en ignorait globalement la notion, sauf à quelques moments bien précis.

Ici votre choix d’alignement est réellement intéressant, car matérialisé régulièrement sous la forme de prise de décision (à la fin des quêtes, classique), mais aussi dans la gestion de votre baronnie. D’ailleurs, votre baronnie dispose de son propre alignement, en fonction des décisions que vous prenez, des compagnons que vous placez aux différentes positions, et des choix de constructions effectués. Ce afin de représenter la variation entre les idéaux d’une personne et la concrétisation de ses choix une fois arrivée au pouvoir.

Ensuite, il faut noter que la campagne Kingmaker du jeu de rôle de papier, si elle est appréciée pour sa thématique (l’acquisition d’un royaume) et ses systèmes dédiés, n’est pas reconnue dans la communauté comme étant l’une des campagnes les plus intéressantes sur le plan narratif, comparée à la campagne du seigneur des runes par exemple, devenue un classique de Pathfinder. Le matériau de base avec lequel a dû composer Owlcat n’est donc pas franchement idéale, et les ajouts qui ont été faits témoignent au final d’ajouts assez pertinents, avec quelques envolées lyriques montrant que le studio en a clairement sous le coude au niveau écriture.

Enfin, il faut saluer le fait que le jeu dispense son contenu de manière raisonnée, et ne vous inonde pas de texte comme on a pu le voir dans les logorrhées parfois interminables de Pillars of Eternity ou Torment: Tides of Numenera. Le texte va à l’essentiel, et vise la concision et l’efficacité avant tout, un peu à la manière d’un Tyranny.

Au global, le joueur familier des jeux Infinity Engine pourrait s’imaginer une structure à la Baldur’s Gate, avec de vraies options pacifiques et une mise en valeur des caractéristiques et de l’alignement du personnage, mais avec un contenu majoritairement orienté vers le combat et le Dungeon Crawling à la Icewind Dale. On se serait par contre bien passé des fréquentes phases cinématiques qui hachent le rythme, sortes de moments narratifs maladroits au cours desquels le joueur n’a plus la main sur le défilement du texte, et qui ne proposent parfois pas de voix, et se déroulent donc dans un silence malaisant.

Maybe the real treasure was the friends we made on the way

Élément toujours essentiel d’un bon jeu de rôle, vos compagnons correspondent pour la plupart aux canevas classiques (le gobelin alchimiste à l’air supérieur, la barde halfeline enthousiaste, le rôdeur mystérieux, la barbare sauvage)… tant en terme de trope narratif que de classe de personnage. Certains personnages, tels que la nécromancienne inquisitrice Jaethal, sont un peu plus intéressants, mais on reste quand même sur des personnages assez basiques.

Les compagnons disposent tous, comme le veut la tradition du genre, d’une quête personnelle, heureusement souvent bien meilleure que l’archétype du personnage ne le laissait présager, même si certaines sont clairement dispensables et peu intéressantes (telle que celle d’Ekundayo). Pour information, vous nous pardonnerez du spoil mineur, sachez que ces quêtes fonctionnent un peu comme les quêtes de loyauté de Mass Effect 2, de manière encore plus drastique même puisque ne pas accomplir la quête d’un compagnon revient tout simplement à le condamner à mort lors de la mission finale du jeu.

Carton rouge par contre pour les romances, on ne peut plus basiques et forcées, très inintéressantes, au point que votre serviteur n’a même pas souhaité opter pour l’une d’entre elles.

Au final, ce qu’on retiendra de l’aspect narratif de Pathfinder, c’est un côté classique, basique voire cliché, mais réussi, bien narré, rythmé et entraînant. Cela va bien, d’ailleurs, avec son univers, qui est peut-être plus bariolé, divers et générique que le Donjons et Dragons classique, en tout cas celui des Royaumes Oubliés, plus sobre et terre à terre.

The end of the Line

Petit mot enfin, sur la réalisation, de très haute tenue pour un jeu de ce type, mettant Unity à contribution comme jamais dans le genre. En effet, le titre propose des décors visuellement sublimes, pas toujours extrêmement détaillés mais bien intégrés et élégants, avec des effets de lumière de grande qualité. Les effets de sorts particulièrement chargés à haut niveau et les très nombreuses invocations peuvent parfois rendre l’action difficilement lisible et occasionner des chutes de framerate, mais sont très beaux. Malheureusement, ce travail et ce soin accordé à la technique ne se reflète pas vraiment dans la direction artistique, relativement plate tant dans les décors que dans les portraits.

Bien sûr, certains argueront qu’il s’agit là d’une limitation induite par le cadre de la campagne du jeu de rôle papier, assez générique, et c’est vrai, mais on ne peut s’empêcher d’être un peu déçu par le manque d’audace visuelle du jeu. Les passages dans le premier monde, par exemple, se ressemblent tous, alors qu’il s’agit d’un territoire particulièrement anarchique et chaotique qui a de quoi réellement inspirer des artistes.

L’interface quant à elle est très pratique, notamment dans l’inventaire, certainement la meilleure du genre, avec des fonctions de tri par prix ou par temps écoulé depuis l’acquisition pertinentes, même si on aurait aimé quelques options supplémentaires comme la recherche par nom d’objet par exemple. De même pour le rangement des sorts et des capacités, regroupés de manière claire en bas de l’écran dans les différents emplacements à disposition, puis dans l’arbre dédié en fonction des niveaux de sorts et de capacités.

La musique, sur laquelle officient entre autres Inon Zur (Baldur’s Gate II: Throne of BaalDragon Age: Origins,  Fallout 3… ) et Dryante (un excellent musicien/youtubeur connu pour ses reprises Folk de thèmes de jeux de rôle) est épique à souhait, et accompagne très bien l’action. Par exemple, les thèmes du menu principal, de la gestion du royaume et du boss final resteront dans la mémoire, de même que le thème évanescent presque Vangelis accompagnant les excursions dans le Premier Monde.

Sorti dans un état désastreux en 2018, le jeu est désormais tout à fait jouable du début à la fin, et ce sans gros problèmes. Nous n’avons pas eu de bugs bloquants, par exemple, même si des plantages et autres bugs d’affichages, ont pu régulièrement nous agacer. Prenez l’habitude de faire un grand nombre de sauvegardes manuelles en cas de problème, même si le jeu sauvegarde déjà régulièrement automatiquement.


Comment ne pas conclure avec un petit aparté sur les mods : tous les moddeurs passionnés par ce type de jeux se sont retrouvés sur le titre, et proposent des options pour retirer le compteur, augmenter le poids transportable, ajouter des dizaines de classes, de portraits, de jouer au tour par tour plutôt qu’en temps réel avec pause, et bien d’autres encore. Clairement, si vous accrochez au jeu, sa structure, et son contenu, vous aurez moyen d’y passer des centaines d’heures. Nous vous recommandons d’au moins installer le mod pour les portraits et peut-être celui pour réinitialiser votre personnage principal, afin d’éviter la frustration de devoir recommencer une partie pour cela.

Juché sur un système de jeu complet ayant depuis longtemps fait ses preuves, modernisant une formule ancienne d’élégante manière, et proposant parmi les combats les plus mémorables du genre, Pathfinder : Kingmaker parvient à nous donner un sentiment d’accomplissement extrêmement gratifiant. Celui d’avoir mené une aventure complète, épuisante, mais passionnante, menant notre aventurier jouvenceau à la presque divinité. Ce sentiment grisant, on ne le retrouve de manière aussi viscérale et plaisante que dans ce jeu aujourd’hui.
La réussite qu’est le système de gestion de royaume n’est qu’une pierre de plus ajoutée aux fondations d’un titre référence pour tout fan de cRPG à l’ancienne. À bien des égards, c’est bien le studio russe inconnu Owlcat Games qui nous aura proposé la meilleure modernisation des classiques de l’Infinity Engine. Qui l’aurait cru à l’époque de la ruée vers l’or de Kickstarter d’Obsidian et inXile ? Certainement pas moi, et pourtant, la réussite du projet Pathfinder : Kingmaker est implacable.

+ Le système Donjons et Dragons, solide comme un roc
+ Combats passionnants
+ Réalisation superbe…
+ La gestion de royaume, captivante
+ Contenu riche

Note RPG 5 sur 5
Note testeur 09 sur 10

– Artistiquement générique
– Deux derniers chapitres en deçà
– … mais des bugs persistants

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