jeudi, mars 28, 2024

Avernum : Escape From The Pit

Ce test a été écrit et publié à l’origine le 28 mai 2012 sur le site RPGFrance par son auteur Andariel.

Il fut un temps où le monde du RPG ne tournait pas autour des moteurs graphiques clinquants et du marketing tapageur. Un temps où la modestie de la technique et l’humilité du budget étaient compensées par la richesse et la passion. Un temps où le RPG ne nous en mettait pas plein les yeux mais allait droit au cœur. Vous vous rappelez ce temps ? Ou du moins, saviez-vous qu’il existait? Eh bien, l’indépendant Spiderweb Software s’en rappelle très bien lui, et le commémore jusqu’en 2012 avec son Avernum : Escape From The Pit sur PC, Mac et iPad.

Vous ne le savez peut être pas mais Spiderweb Software est parmi les plus vieux vétérans du RPG. En effet, Jeff Vogel, pratiquement l’homme à tout faire de ce studio indé composé de pas plus de trois personnes (notamment lui, son épouse et une amie de la famille) entretient un savoir-faire artisanal depuis 1994. Loin du feu des projecteurs, le gaillard a tout de même à son actif pas moins de vingt titres tels que les Nethergate, la saga Geneforge, ou encore Avadon : The Black Fortress, sorti l’année dernière.

Mais sa série la plus emblématique demeure incontestablement Exile, avec laquelle il avait acquis un public, certes de niche, mais fidélisé et de longue date. Preuve en est, il n’a pas hésité à remettre au goût du jour sa trilogie phare en 1999, la rebaptisant Avernum puis l’accompagnant d’une seconde trilogie en 2006. C’est donc avec ce nouvel Avernum : Escape From The Pit (qu’on appellera juste Avernum par commodité, sans que ce soit une référence à l’épisode de 99) et son dernier moteur graphique qu’il a décidé d’en remettre une couche dans un deuxième remake. Bon, on ne pourra franchement pas dire qu’on fait dans l’innovation sur ce coup, mais vu que c’est pour faire revivre un mythe condamné à l’oubli et le rendre plus abordable, il n’y a pas de quoi faire la fine bouche, d’autant plus si on est passé à côté…      

Avernum : Au fond du gouffre

C’est au travers d’artworks somptueux que nous est contée l’histoire de Avernum. L’empire, dirigé d’une main de fer par l’empereur Hawthrone, fait régner un despotisme indicible sur tout et n’importe quoi. Et, à cet effet, il s’est déniché la solution miracle : Avernum, un réseau de cavernes gargantuesque dont il a scellé les issues et dont il contrôle l’unique accès. Dès lors, des cohortes entières d’exilés ont été bannies dans cet abîme pénitentiaire, abandonnés à leur sort face à une faune et une flore inhospitalières au possible. Pas de chance, cette funeste sanction s’est aussi abattue sur vous et vos compagnons dès le moment où vous avez osé élever un peu la voix contre l’empire. C’est donc au-delà du portail d’Avernum que vous croupirez le restant de votre vie, ou du moins c’est ce qu’espèrent vos bourreaux… A partir de là, c’est une quête de liberté, de survie ou de vengeance qui s’offre à vous et c’est suivant un de ces trois axes que le dénouement de l’aventure se dessinera, bien qu’il soit tout à fait possible de joindre les trois bouts.  

Dans tous les cas, l’aventure sera loin d’être de tout repos tant la survie est impitoyable dans ces étendues de stalactites et de fongus. Face à l’hostilité de l’environnement et aux mystères dont regorgent ses sombres grottes, bon nombre d’exilés subsistent comme ils le peuvent avec les moyens du bord en formant une dizaine de colonies, sous la tutelle du roi Micah. Comme si cela ne suffisait pas, le royaume d’Avernum est assailli de toute part par les races humanoïdes qui lui livrent une guerre sans merci.

Et pour une fois, on nous épargne les sempiternels nains velus et autres elfes glabres dans un univers fantasy. Le monde d’Avernum se veut, en effet, exotique et met en place des races comme les Nephilims et les Nepharims, espèce d’hommes-félins qui nourrissent une haine vengeresse à l’égard des humains après avoir été décimés par l’empire à la surface. Ou encore les Slithzerkai, sorte d’hommes-lézards tribaux et habitants originels de ces cavernes qui n’ont de cesse de réclamer leur dû en monnaie de sang. C’est donc dans ce décor dépaysant et pas franchement des plus joyeux que vous entamerez votre périple d’Avernite et devrez prendre vos marques. Oui, Avernum c’est un peu une version malmenée de l’allégorie de Platon…  

Avernum : Fosse commune ?

A la manière d’un Ultima 3 ou d’un Icewind DaleAvernum a la bonne idée de proposer d’emblée une création intégrale des quatre personnages qui constitueront votre groupe d’aventuriers. Alors oui, on est peut être perdant en termes d’interaction entre ces dits personnages et leur personnalité, mais l’initiative demeure quand même bien appréciable tant le fait de pouvoir construire son équipe à sa guise est plaisant. Vous pourrez dès lors opter pour le skin et le nom de votre choix pour chacun d’eux et laisser parler votre imagination. De là, libre à vous de choisir une classe parmi les neuf prédéfinies qui vous sont proposées ou bien de sélectionner une classe personnalisable qui vous permettra d’assigner les points aux attributs et aux compétences comme vous le désirerez.

Mais dans les deux cas, le jeu ne vous lie à aucune attache côté classes et rien ne vous empêche de diversifier vos choix de builds sur différents axes. Le système de progression des personnages étant plutôt tolérant, sans vraiment être trop laxiste non plus. Bien entendu, comme il est de coutume dans les RPG, passée l’étape de création de personnage vous vous retrouverez nu comme un ver, et vous équiper décemment sera dès lors votre première motivation de survie contre les coups de froid d’Avernum. Ce sera alors l’occasion de jeter les premiers coups d’oeil sur le système d’équipement plutôt bien fourni et les objets pas mal diversifiés qui vont avec. Mais on constatera aussi que l’interface n’est pas des plus intuitives, surtout par le fait de devoir ouvrir l’inventaire pour ramasser les objets avoisinants. Un héritage des Ultima un poil déroutant aux premier abord mais auquel on s’habituera assez vite.     

Au gré du gain d’expérience, on aura à dépenser des points de caractéristiques et à garnir les arbres de compétences dédiés aux capacités martiales (maîtrises de différents types d’armes, ambidextrie, parade, riposte, coups critiques…) et/ou les talents magiques et divers (crochetage, premiers soins ou encore connaissance du terrain…). Certaines de ces compétences constituent des paliers à atteindre pour pouvoir débloquer les diverses  techniques de combat actives (coup assommant, coup balayé, poussée d’adrénaline…).  

Du côté des mages et des prêtres par contre, ils font plus office de prérequis pour les sorts, qui eux ne sont déblocables qu’après un apprentissage auprès d’un PNJ instructeur moyennant finances ou après avoir étudié un parchemin bien caché quand le talent relatif le permet. A cela s’ajoute un système de traits à choisir tout les deux niveaux qui procurent, quant à eux, des bonus passifs supplémentaires. Au final, il faut dire que la progression des personnages est un des gros attraits du titre et promet une bonne dose de plaisir addictif en perspective avec le fameux syndrome “Allez, encore un autre niveau et je quitte”.                               

Avernum : L’abîme du temps

Sans vouloir évoquer l’image de la bonne soupe et de la vieille marmite, disons juste qu’Avernum s’inscrit dans la lignée des vieux Ultima et de leur 2D isométrique. On ne se permettra même pas de faire le lien avec les jeux Infinity Engine à la Baldur’s Gate, tellement le jeu puise sa quintessence autre part, genre Ultima Underworld, et que ses références remontent à plus loin que ça (je vous signale qu’Exile date de 1995 tout de même, bien avant Bioware et Black Isle). En ce sens, et vis à vis du fait que ce soit un produit indé, il ne brille pas spécialement par l’aspect esthétique de sa 2D qu’on pouvait trouver dans les classiques d’antan. Le rendu peint à la main est correct et agréable mais il n’est pas du genre à offrir des diaporamas contemplatifs.

Sans parler du fait que tout ce qui est animation, que soit celle des sprites ou celle des effets, est plutôt minimaliste et sommaire. Par ailleurs, on regrette aussi que l’aspect sonore soit si limité en terme de moyens investis, parce que hormis le thème principal et quelques ritournelles ici et là, ce sont les effets ambiants qui accompagnent le plus souvent les modestes bruitages… Mais de toute manière, si on fait le choix de s’intéresser à ce genre de jeux, c’est qu’on a avant fait le choix de ne pas être regardant sur ce genre de choses. Parce qu’au delà de ça, c’est finalement du pur retour aux huiles essentielles du tant regretté RPG de la vieille école.    


L’aspect principal où cet esprit délectable se manifeste le plus est sans doute la liberté qui est offerte au joueur dans son initiative “monde ouvert” et l’incitation à l’exploration qui va de pair avec. En visitant les différentes agglomérations dont regorge la vaste carte d’Avernum, vous aurez la possibilité de vous frayer un chemin vers n’importe quelle habitation. Libre à vous de piller les maisons au risque de vous faire surprendre par les propriétaires des lieux, ou bien de vous attaquer à n’importe quel habitant au risque de vous faire cerner par les dizaines de gardes. Un système de réputation est d’ailleurs en place et certaines de vos actions vous permettront de gagner les faveurs de certains donneurs de quêtes et de jouer sur la tolérance des PNJ…

Au détour d’un recoin, vous pourrez tomber sur un interrupteur dissimulé qui vous donnera accès à une zone secrète où est entreposé un trésor bien gardé, ou un improbable personnage, ou encore une surprise bien moins avenante. Il est même assez courant de trouver des pièges mortels à désactiver via la compétence associée, des barrières magiques qui nécessitent un sort dédié ou encore une malédiction difficilement soignable qui hante un coffre. Que ce soit dans les villes les plus sûres ou les donjons les plus malfamés, vous ne serez jamais au bout de vos surprises.     


De façon plus ou moins proche d’un Fallout, en extérieur des villes et des donjons, le jeu se met dans un mode dézoomé et vous propose d’explorer de long en large ses entendues parsemées de rencontres aléatoires et d’autres scriptées de toutes sortes. Très vite, on pourra acquérir une embarcation pour sillonner les eaux caverneuses à notre guise, accédant ainsi aux confins les plus reculés. Avernum est bourré de secrets à découvrir, de mystères à éclaircir et de quêtes à accomplir et vous vous trouverez toujours gagnant à y déployer vos efforts. Dès lors, vous pourrez mettre la main sur de précieux artefacts magiques telle qu’une orbe vous permettant de voler, de mystérieux cristaux de sagesse qui confèrent de l’expérience à vos personnages, des parchemins de sorts puissants, des caches d’objets enterrés qui pourraient intéresser les marchands du coin, des traces d’une énigmatique civilisation disparue et autres… Le jeu est une invitation continue à l’exploration méticuleuse tellement elle se veut gratifiante en plus de sa richesse. Au final, on se retrouve avec plus d’une soixantaine d’heures de découvertes et on ne finit toujours pas d’en redemander… 

Avernum fait son trou!

Avernum n’étant vraisemblablement pas envahi par les bisounours, ce ne sera pas d’amour et d’eau fraîche que l’exploration se nourrira. Les affrontements prennent une place cruciale et on aura souvent l’opportunité de faire parler la force brute. Dans son allégeance aux préceptes du jeu de rôle sur table, les combats d’Avernum se feront en tour par tour sur une bonne vieille grille. Dès lors, on aura à gérer efficacement les points d’actions de manière à bien organiser ses manoeuvres et réussir ses attaques. On aura toujours le contrôle sur le champ de bataille et on nous laisse le champ libre pour les stratagèmes les plus farfelus ou les approches les plus directes. Le panel de sorts, de compétences actives et les effets associés, qu’on maîtrisera tout au long de l’aventure, va d’ailleurs dans ce sens.

On pourra, par exemple, augmenter le nombre de points d’action ou le nombre d’attaques sur quelques tours, priver l’ennemi de ses points d’action, contrôler les vagues de mobs en les repoussant, en les handicapant ou en les attirant, sans parler des buffs, des sorts de zone et des attaques directes… Les combats se révèlent donc pas mal diversifiés et réfléchis et, pour peu qu’on opte pour un mode de difficulté élevé parmi les quatre disponibles, ils nécessiteront une implication et une gestion poussées. On reprochera en revanche le pathfinding plutôt tortueux qui fait qu’on a parfois droit à des détours inattendus si on ne donne pas un ordre de déplacement précis. Aussi, l’IA qui, bien que correcte dans l’ensemble, réserve parfois son lot d’inattendu elle aussi.

Avernum, c’est aussi un RPG qui se respecte et qui, de ce fait, ne nous épargne pas une quantité considérable de dialogues. C’est surtout là qu’il étale toute sa splendeur et brille de mille feux. La qualité d’écriture déployée a de quoi faire pâlir bien des écrivains célèbres tant sa maîtrise force la considération. Personnellement, je donnerais cher pour une session de jeu de rôle où Jeff Vogel serait le meneur de jeu tant son talent de conteur est subjuguant. Tel un Planescape : Torment, ​les dialogues sont accompagnés de descriptions minutieuses des personnages et des événements en jeu dans le plus grand souci du détail. Plus que cela, on est souvent abordé au fil de notre progression par des fenêtres portrayant les paysages et les décors soigneusement. On est, dès lors, happé par la prose, emporté dans notre imaginaire à la manière d’un bon livre et l’immersion n’en est que plus grande…

Quelques petites ombres au tableau à ce niveau tout de même. Tout d’abord, le jeu n’est malheureusement disponible qu’en anglais, et c’est un anglais pas mal soutenu qui est proposé. Alors oui, il est possible de parcourir l’aventure en ignorant les dialogues et en s’armant uniquement du journal de quêtes, mais ça serait passer à côté d’un des principaux intérêts du titre. Enfin, il est un peu dommage que la construction de la plupart des dialogues et des quêtes soit si ancrée dans l’esprit porte/monstre/trésor des Dungeon Crawler, n’étant ainsi pas très ouvert aux choix/conséquences. Cela est d’autant plus regrettable quand on voit que le contenu inédit apporté par ce remake tournant autour de Thantria et Kyass va dans un sens plus moderne et interactif. 


Pour finir, il est à noter que le studio propose une conséquente démo shareware réservant environ une vingtaine d’heures de jeu et déblocable à tout moment. Le jeu est aussi disponible sur Steam pour une bouchée de pain. Avoir le jeu directement à partir du site du studio est un peu plus cher si la générosité vous parle, mais de là vous bénéficierez d’une réduction si vous possédez déjà les épisodes originaux. Aussi, le studio s’engage à vous rembourser si jamais vous n’êtes pas satisfait dans un délai d’un an et ceci est d’ailleurs valable pour tout ses jeux… Eh ouais, c’est ça le commerce équitable… 

Avernum : Escape From The Pit a beau être un remake d’un remake d’un indé antédiluvien, il n’en reste pas moins rafraîchissant et revigorant. Il faut dire que le plaisir qu’il véhicule est à l’épreuve du temps et la saveur qu’il transmet à l’épreuve de la technique. Ce fameux petit quelque chose impalpable et imprécisable qu’on évoque souvent quand on est à court de mots, il est là quelque part. Il est certain qu’Avernum est limité par les capacités modestes de son créateur tant au niveau du design qu’au niveau technologique, et n’a ni la prétention ni les moyens de faire trembler les vieilles références du RPG old school. La forme n’est pas franchement des plus attrayantes et le principe est empreint d’un classicisme flagrant, mais le fond, lui, captive, passionne et fait rêver. N’est ce pas le plus important finalement? Bref, comme le disait si bien un vieux moine tibétain quand il voulait finir ses récits dans un ultime élan de sagesse: “Enjoille!”   

+ Ecriture littéraire de haute volée
+ Combats bien tactiques et stratégiques
+ Exploration et liberté très appréciables
+ Durée de vie rondelette (60h +)
+ Prix dérisoire (8 € )

Note testeur 08 sur 10

– Quelques carences d’ordre technique
– Bande sonore mise en retrait
– Plus tourné vers le Porte/Monstre/Trésor que le Role Play
– Anglophobes s’abstenir

RPGfrance
RPGfrance
Site ayant vécu de 2009 à 2022 et traitant de l'actualité des jeux vidéo RPG. Le site ayant disparu, l'équipe de RPGjeuxvidéo, sous l'action de Killpower, ancien président de RPGFrance, a essayé de rendre hommage aux nombreux rédacteurs qui ont participé au site, en reproposant leurs articles qui, sinon, auraient été perdus à jamais. Si vous êtes l'auteur de cet article, contactez-nous et inscrivez-vous, nous mettrons le texte à jour.

Avis des membres : (0)

Ce test n'a pas d'autre avis.

Articles récents

Vous voulez donner votre avis sur le jeu ?

S’abonner
Notifier de
guest
0 Commentaires
Inline Feedbacks
View all comments
0
Envie de laisser un commentaire ? x