Le moins que l’on puisse dire c’est que les dragons ont toujours été chéris par la fantasy. A juste titre d’ailleurs : ces créatures de légende sont carrément un monceau de fantasmes sur pattes. Les dragons volent dans les cieux, réduisent des agglomérations entières en cendres, ils sont virtuellement indestructibles, ils ont une longévité de l’ordre du millénaire et roupillent sur un immense trésor. Néanmoins, il faut avouer que les dragons sont désormais un peu vulgarisés, tellement on en voit à toutes les sauces. Des dragons en jetpack, des dragons qui prennent le car, des dragons qui jonglent avec sept boules de cristal et j’en passe…

Pourtant, j’ai toujours trouvé les dragons dans Shadowrun intrigants : ils peuvent prendre forme humaine et se fondre dans la masse. Ils sont souvent à la tête de mégacorporations où ils complotent insidieusement et où on leur voue un culte malsain. Bon sang, il y en a même des dragons présidents des États-Unis (Draco Obama ?) ! Autant dire que ce Shadowrun : Dragonfall s’annonçait un peu comme un coup de boule. Alors finalement ? Dragonball ou Dragonfail ?

Sortie en fin février 2014, soit environ huit mois après Shadowrun Returns, cette fameuse “Berlin campaign” aux allures de DLC (add-on téléchargeable ?) a débarqué avec un prix curieusement assez proche de celui du jeu de base, mais gratuit pour les heureux backers du projet Kickstarter (ha ha !). Dragonfall, ou devrais-je plutôt dire Shadowrun Returns partie II… Oui, parce que là il devient manifeste que Harebrained Schemes a officieusement opté pour la méthode de Double Fine Studios et a accouché de son bébé en deux parties plus ou moins distinctement égales. Parce que bon, s’il y avait une tare indubitable dans le jeu de Jordan Weisman et sa bande, c’était bien la durée de vie de la campagne Dead Man’s Switch et son aspect expéditif. Expéditif à bien des égards, j’ajouterais…

Ainsi, si vous avez consulté mon test du bousin et son 6/10, vous saurez que le jeu de base m’avait laissé un clair arrière-goût de déception à cause de toutes ses astreignantes limitations. Je préviens alors que je vais appréhender Dragonfall de manière comparative au long de ce mini-test et je m’attarderai uniquement sur les apports de ce contenu additionnel. De toute façon, soyez francs ; il n’y a que la note finale qui vous intéresse, n’est-ce pas ?    

Ach ! Herzlich willkommen in Kreuzbasar, herr Feuerschwinge

Bye bye Seattle et willkommen in Berlin ! La campagne de Dragonfall pend place dans un setting un poil différent et vous aurez à créer un tout nouveau personnage niveau 1, sans possibilité d’import de sauvegarde. Pour autant, ne vous attendez pas à trop de dépaysement, parce que ce n’est pas encore la Côte d’Azur : la cité-flux n’est peut-être pas une ville-enclos, mais elle n’en demeure pas moins bien cyberpunky comme il le faut avec son banditisme latent, son esclavage salarié omniprésent, ses corporations vicieuses, son racisme anti-métahumain et le train-train du genre… Surprise ! Vous incarnez encore un runner qui essaye tant bien que mal de faire sa place dans ce chaos dystopique. Ainsi, vous intégrez la bande d’une certaine Monika Schafer (une proche de Tim Schafer ?) pour prendre part à ce qui était censé être un run fastoche. Seulement, tout ceci tourne vite au vinaigre et cède la place à une série d’évènements impliquant carrément un dragon. Rien que ça.  

Le scénario de cette campagne draconique s’éloigne de l’aspect enquête criminelle de celui du jeu de base et s’aventure dans un schéma mêlant complots pernicieux et opposition fantasy/science fiction. De ce fait, l’histoire ici est non seulement plus fidèle à l’esprit du jeu de rôle papier source, mais en plus elle s’avère être plus engageante et mieux rythmée grâce à ses proportions épiques. Les éléments de l’histoire sont d’ailleurs mieux présentés cette fois-ci, notamment à travers les flashbacks ou encore l’idée de la transmission “vidéo” à consulter sur DVD in-game, mais aussi le sympathique forum des runners à lire via le PC du protagoniste…

Pour autant, et contrairement au jeu de base, cette campagne s’impose surtout par la qualité des personnages qu’elle exhibe. Vous êtes enfin aux commandes d’une véritable équipe de runners dont les différents membres disposent de personnalité globalement accrocheuse, d’interactions plus ou moins étoffées ainsi que d’un background travaillé que vous aurez le plaisir de dévoiler au fur et à mesure de la progression. Dès lors, l’écriture déjà solide auparavant, brille de plus belle dans Dragonfall et vous promet une meilleure immersion. D’ailleurs, le concept de choix/conséquences est plus mis en avant et ceux-ci se révèlent plus palpables, même si les répercussions de vos décisions restent tout de même souvent limitées. Ahem, moi qui avait tellement fait du gringue à ma douce Glory, je suis quand même resté sur ma faim, ahem… Amour, Glory et beauté…

Dragonfall Z, le gentil Sangohan combat tous les méchants 

Ceci dit, le plus grand pas franchi dans cette campagne est sans aucun doute du côté du level design. Je suis heureux de dire que HBS a été à l’écoute des retours et a largement atténué la linéarité déshonorante qui plombait le jeu de base. En ce sens, la structure de Dragonfall tourne plus autour de la notion de hub – une base d’opérations pour votre groupe ainsi qu’un pan de quartier avec des PNJ et des marchands – à visiter entre les missions. Je vous avoue que là où la succession de couloirs et de ruelles du jeu de base m’a laissé de marbre, je me suis surpris cette fois à m’immerger coeur et âme dans la chose. L’interactivité plus importante et l’aspect plus ouvert des cartes sont déjà un bon gros coup de pouce, mais la familiarité qui se crée avec les personnages fait qu’on se sent impliqué dans le destin du Kreuzbasar. 

Le jeu demeure pourtant encore affecté par une certaine linéarité et on discerne toujours facilement ses rails en filigrane, mais cela devient malgré tout plus acceptable que par le passé. De surcroît, on a enfin la sensation d’être un runner un peu à la dérive qui se fait des jobs à droite à gauche comme le veut la tradition du jeu de rôle papier, notamment grâce à l’intervention plus importante des missions plus ou moins annexes. Encore que le ficelle scénaristique de la quantité d’argent à rassembler via les missions à la manière de Baldur’s Gate 2 est un peu trop ténue à mon goût.

D’ailleurs, il faut dire que malgré sa nette évolution, Dragonfall n’arrange que peu au manque d’ampleur du jeu et à l’insuffisance en termes de possibilités et de contenu. Alors oui, le bougre m’a quand même tenu en haleine une bonne vingtaine d’heures, soit facilement le double de Shadowrun Returns, ce qui est drôlement ironique pour un DLC. C’est un bon point certes, mais s’asseoir sur un total de trente heures pour un RPG de ce genre, c’est vraiment se contenter de peu. Même si l’espoir du modding fait vivre… Pour être juste, Dragonfall nous débarrasse tout de même de la plupart des bugs et des errances maladroites du jeu de base, et vient nous gratifier d’un système de sauvegardes salutaire. D’autre part, ses quelques nouvelles musiques, dotées cette fois de sonorités plus retro, sont plutôt savoureuses. 

De plus, il rajoute quelques nouveaux équipements et consorts comme le minigun et le sniper pour varier les plaisirs, bien que la customisation du personnage reste toujours aussi light. Ceci est d’autant plus dommage qu’on ne vous laisse pas la latitude de customiser un minimum les membres de votre équipe… En outre, les combats se révèlent mieux amenés et plus variés mais ces derniers restent encore désespérément faciles : j’ai fait le jeu dans le plus haut mode de difficulté et je ne suis pourtant pas mort une seule fois. “Vous n’allez pas mourir !” dans ce Dark Souls à l’envers quoi… Enfin, il faut dire que HBS ne change pas trop ses habitudes parce que la localisation française se fait encore et toujours attendre. Un comble pour un jeu se déroulant dans un contexte européen…   


J’avais conclu le test de Shadowrun Returns en disant qu’il y avait un gros potentiel tangible mais que celui-ci était enchaîné par de méchantes astreintes. Force est de constater que ce Dragonfall se déchaîne tel un Kaméhaméha chargé et que le dragon qui sommeillait en lui vient enfin d’éclore. Ainsi, cette nouvelle campagne marque une rémission indéniable et vient rattraper le coup sur tous les plans. Plus respectueux du jeu de rôle papier éponyme, plus extraverti, plus entraînant, plus consistant, Dragonfall est un festival d’adjectifs comparatifs, un peu à l’image de ce test… Malgré tout, ce n’est pas vraiment ce que j’appellerai un “grand RPG” tant il bat encore de l’aile à quelques niveaux. Ce dragon lui reste encore à déployer ses ailes et à s’élever dans les airs dans un maelstrom de flammes. Mais je pense quand même qu’il mérite une amnistie parce que, pour une fois, on a affaire à un bon deal avec un dragon.       

+ Moins linéaire et mieux structuré qu’auparavant
+ Scénario, personnages et écriture mieux travaillés
+ Meilleure durée de vie (~20h)
+ Enfin un système de sauvegarde !
+ Tous les ‘plus’ du jeu de base

Note RPG 3 sur 5
Note testeur 08 sur 10

– Encore un peu linéaire
– Encore un peu facile
– Encore un peu limite côté envergure et possibilités
– Encore un peu à la traîne la localisation française

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