Connaissez vous la règle du titre générique ? Je vous l’ expose ici : lorsqu’une œuvre a dans son nom un « Révélation », un « Chronique », ou encore un « Origine » vous pouvez être certain qu’il y a embrouille. Ces mots sonnent bien, certes, mais ils sont résolument creux et sont souvent le symptôme d’un récit qui n’a guère d’autres ambitions que d’enrichir avec fainéantise une franchise déjà bien installée. Des exemples ? Final Fantasy Origin, Silent Hill Révélation, Assassin’s Creed Revelations, Batman Arkham Origins (bon celui-là je l’aime bien, mais les origines d’Arkham avec un batou avec deux ans d’expérience déjà ? Sérieusement garçon !) et désormais : The Diofield Chronicle.


La présence d’un « Chronique » dans un titre est cela dit moins honteux dans son intention. Bien souvent cela s’inscrit plutôt dans une volonté de préfigurer une grande saga, où l’on racontera les histoires d’un monde sur plusieurs itérations. Une stratégie qui visiblement intéresserait beaucoup un Square Enix en manque de renouvellement de ses franchises historiques, incapable de tirer du bénéfice d’autre chose que des mastodontes Final Fantasy et Kingdom Hearts, déjà plus qu’intimement lié entre eux. Bien sûr, quelques RPG à l’ancienne, remaster, remake et jeux en 2D Haute-Définition dégage quelques deniers qui ravissent un éditeur désormais fragile dans sa place de gros acteurs de l’industrie.

C’est ainsi que The Diofield Chronicle né, dans un contexte où Square fait des essais dans toutes les directions, des jeux à budget serré, dans l’espoir de créer le nouveau Nier Automata qui remettra dans le vert vif son exercice fiscal. Le titre qui nous intéresse aujourd’hui, s’inscrit volontairement dans une veine vieille école, s’inscrivant autant dans un Tactic Ogre pour la philosophie de gameplay qu’un Fire Emblem pour sa construction et Vagrant Story pour son esthétique, The Diofield Chronicle emprunte et semble tout miser sur son gameplay inspiré des jeux de stratégie en temps réel plutôt que des jeux de tactiques. Un titre bâteau, des inspirations multiples et dans un champ relativement similaire, sentez-vous venir le titre quelconque ? Le risque est grand, mais laissons sa chance au produit.

Le risque, les joueurs de jeux de stratégie y sont habitués : anticipation, construction méthodique de stratégies que l’on devra adapter aux circonstances, initiative et culot, finissant dans la plus glorieuse réussite ou dans l’échec le plus déplorable. Ainsi naissent et meurent les héros et ceux qui ont eu le temps de s’avilir, un esprit de compétition, de volonté de gravir l’échelle sociale et de s’imposer comme le meilleur dirigeant. Certains y verront la marque du terrible patriarcat, d’autre, la traduction la plus littérale du principe même du jeu : mettre en place des enjeux qui vous font courir le risque de perdre tout ce que vous avez, ou vous offre la possibilité de vous hisser au-dessus de vos pairs.

C’est pour cela que l’esthétique des parties de The Diofield Chronicle n’étonne guère : des dioramas, sur lesquels on balade nos personnages comme autant de figurines à l’aspect cireux, qui se mèneront des batailles qui tenteront de représenter à échelle minime des enjeux bien plus grandioses. Si les illustrations de nos personnages et de l’univers, via quelques images fixes et de rares cinématiques en image de synthèse tentent de rendre palpable un univers splendide et vaste, le retour au moteur du jeu et les cinématiques faites avec nos protagonistes désormais modélisées de façon très sommaire, nous ramène à une époque du jeu vidéo où l’on avait pas les moyens techniques de retranscrire fidèlement la vision des créateurs : ici quand on peut on retranscrit, mais souvent, on suggère.

Cette suggestion se retrouve dans le principe même du jeu : escarmouche n’impliquant jamais plus de 16 acteurs -vos 4 personnages compris- les combats sont stratégiques, mais à une échelle minuscule, presque microscopique. Mais à la manière des jeux de plateau où une figurine peut parfois représenter tout un armada, ici le jeu essaye de rendre son action plus importante en rappelant que notre compagnie de mercenaires des Renards Bleus, joue dans la cour des grands, dans un conflit opposant un Royaume et un Empire.

Ces derniers ont des noms, mais à l’instar de l’univers dans lequel ils combattent -Ivalice- difficile de mémoriser des sobriquets qui n’ont pas grand chose de mémorable. En effet, le titre ne fait pas de grands efforts pour enraciner ses enjeux dans un univers crédible, donnant à l’ensemble un caractère un peu factice. Est-ce un défaut majeur ? Pas vraiment, parce que l’ambition de développer un univers sur un jeu qui veut avant tout offrir un gameplay carré, aurait facilement pu alourdir le rythme.

La question plus légitime étant donc plutôt « est-ce que ce rythme tient bon ? » 

Fort heureusement pour Diofield Chronicle, son budget assez bas l’a aussi aidé à ne pas être trop gourmand et ne pas imposer aux joueurs une durée de vie à rallonge comme sont capable d’offrir tous les jeux du genre, comme on dit « à quelque chose malheur est bon ». Le soft se finit -toutes quêtes annexes incluses- en une trentaine d’heures, ce qui représente par exemple un tiers d’un certain Fire Emblem Three Houses.

Format plus ramassé, on profite donc d’un rythme narratif relativement soutenu. Il est rare que l’on ressorte d’une mission sans avoir eu le sentiment d’avoir fait avancer la trame globale. Cette impression de ne pas être coincé dans une boucle temporelle à travailler à ce qu’enfin on nous laisse accéder à la suite de l’histoire aide le jeu à lutter contre un défaut qui pointe tout de même son nez rapidement : la répétitivité.

En voulant se concentrer sur les escarmouches et avec un nombre de cartes limités, il arrivera vite qu’on se rende compte de quelques recyclages au niveau des environnements ou même de la composition et formation adverse. Si le bestiaire demeure riche, il n’en reste pas moins qu’à multiplier les combats, on finissent par voir des synergies que l’on a déjà rencontrées et que l’on sait désormais contrer.

Ce n’est pas un mal à petite dose d’ailleurs : il est toujours bon de voir qu’au-delà de la progression de notre équipe en termes de statistique, nous même en tant que joueurs savons désormais mieux gérer les affrontements. Seulement, cette dose est un peu trop importante pour être négligeable, et il faut bien admettre que passé la première moitié du jeu, c’est davantage la progression de nos personnages et de l’histoire, ainsi que ponctuellement un adversaire plus retors qu’un autre qui vont vous pousser jusqu’à la conclusion. Ce n’est pas inhabituel pour le genre d’avoir un essoufflement des mécaniques passés un temps, mais c’est particulièrement dommage pour un jeu relativement court.

Je relativise tout de même la critique : aidé par son système de jeu suffisamment riche et ses affrontements que j’ai trouvé passionnant, cette répétitivité n’est pas de celle qui vous font lâché la manette ou le clavier, elles sont plutôt de celle qui interrompent la lune de miel et font passer progressivement la dynamique de découverte de l’émerveillement à la relation plaisante. Entendez que passé le premier tiers, Diofield Chronicle perdra sa capacité à vous surprendre, mais pas sa capacité à vous satisfaire mécaniquement.

Ce système de jeu dont vous finirez maître bien avant le générique, s’appuie sur d’autres qualités pour garantir au jeu de Square un intérêt à plus long terme. Déjà, force est de constater que j’ai trouvé le jeu assez joli. Alors bien sûr, les modélisations sommaires des environnements et personnages n’aident pas à se sentir sur nouvelle génération, mais la palette de couleurs est remarquablement cohérente et attractive, aussi, les cinématiques baignent dans un traitement d’image un peu pastel qui rend le tout assez charmant. Voir nos protagonistes devenir l’espace d’un moment la représentation assez fidèle des illustrations graphiques, avant de redevenir des poupées de cire combattant sur des plateaux est finalement un grand écart plaisant, permettant de mettre de la distance dramatique dans les phases de jeux, puis de retourner dans le bain dramaturgique dès que la narration reprend ses droits.

Cette narration, nous pourrions en critiquer la sobriété. Sauf que le jeu vise un ton assez sérieux au-delà de la superficialité de l’univers. Les enjeux sont importants : c’est la guerre et les intrigues géopolitiques sont au cœur d’un récit qui s’en trop s’épancher, à tout de même à cœur de rendre compte de l’ambiguïté dans laquelle les personnages naviguent notamment sur le plan moral.

Les situations moralement discutables s’enchaînent, les questionnements des protagonistes les plus ouverts sur leurs sentiments contrastant avec des postures et personnalités plus froides, plus verrouillés. Le casting du jeu s’avère d’ailleurs assez intéressant, bien sûr, les personnages répondent à des grands classiques de la narration et les arcs de personnages ne sont pas les plus exceptionnels de la littérature, mais une poignée de profils se dégagent du lot. L’un des héros (assez anti-héros d’ailleurs) pourrait même se rapprocher d’un archétype classique des jeux de Yoko Taro (les séries Nier et Drakengard notamment) ce qui rafraîchit un univers qui aurait pu facilement tomber dans la banalité.

Ajoutons aux qualités mais aussi, à revers, aux critiques du jeu en évoquant la partie sonore. Solidement joué et incarné, les doublages anglais réalisés par des comédiens de doublage Britannique, s’en sortent avec les honneurs et offrent quelques belles performances de jeux. Dommage que beaucoup d’échanges (et pas que dans le cadre des quêtes secondaires !) se contentent d’interjections des personnages, avec une phrase doublée ici et là ou une précision sur l’état d’esprit du protagoniste plutôt que d’un doublage intégral du jeu. Là encore, rien de grave, mais un peu décevant.

On fera une observation similaire pour les musiques du jeu : on ne leur fera pas le reproche d’être mauvaises, très loin de là (le thème principal est même assez marquant) mais elles ne sont pas assez nombreuses. C’est à peine si l’on compte la dizaine de minutes de musique pour illustrer un jeu relativement court, certes, mais vous aurez beau faire : étaler dix minutes de musique sur trente heures, ça finit par se voir.

Un mot sur l’atmosphère du jeu que j’ai trouvé assez solennel, ce qui change à une époque où l’on banalise un peu trop la rupture de ton et l’humour à tout va. The Diofield Chronicle est un jeu beaucoup plus prude, plus proche d’une vision traditionnelle du médiéval fantastique, ce qui finit par être finalement assez frais après des années de ruptures avec les conventions.

Ce traditionalisme se retrouve dans la structure même du jeu : balade dans un hub étriqué à parler aux personnages et prendre des quêtes avant la préparation des combats, puis cinématique de briefing, combats, cinématique de conclusion, retour au hub. Le titre casse parfois cette monotonie le temps d’un demi chapitre et en fonction de ses intentions narratives, mais ce squelette demeure une règle au long du jeu, ce qui peut encore accentuer la répétitivité, sans, qu’encore une fois, jamais la chose ne devienne besogneuse.

Rendre un verdict sur The Diofield Chronicle s’avère un exercice à la fois simple et difficile à expliquer. Sur le papier, c’est un jeu avec une grande qualité : ses combats, et un ensemble de plus petits points forts qui sont principalement là pour permettre au jeu de briller sur un strict plan mécanique. Humble dans son récit comme sa narration et sa réalisation, Square Enix semble avoir voulu réaliser un jeu très concentré, très épuré, très « simple ». Mais il ne faut jamais confondre simplicité et facilité, The Diofield Chronicle ne s’appuie sur aucun prétexte facile et déploie avec talent son immense qualité et parvient à le faire de suffisamment bonne manière que l’on reste avec lui jusqu’au bout et on en ressorte satisfait. Non, le soucis pour moi est que cette immense qualité et ce potentiel important ne soit pas venu dans un écrin plus soigné, plus ambitieux, par excès d’humilité, The Diofield Chronicle semble presque avoir minimisé l’impact de ses réussites et ne pas avoir voulu prendre sa pleine et juste place : celle d’un excellent premier jeu d’une série à potentielle.

En demeurant humble, The Diofield Chronicle se pare d’un habit de noblesse et ne pourra jamais être qualifié de prétentieux, ce qui aurait pu être une grande qualité, se heurte à un défaut bien plus pragmatique : vendu au prix fort, le jeu entre bien malgré lui dans une catégorie tarifaire où des titres plus grands et parfois plus forts sur certains points peuvent lui faire de l’ombre. Si ses qualités intrinsèques en font un titre qui n’a pas à rougir même face à des mastodontes comme Fire Emblem Three Houses, son manque d’envergure pour un prix d’entrée aussi élevé peut minimiser le plaisir et donner un parfum d’amertume à ce qui s’apparente à une tentative un brin facile de Square Enix de viser la rentabilité trop rapidement avec un jeu dont la popularité aurait bénéficié d’un tarif mieux étudié.

Tout cela pour dire que je vous conseille chaudement The Diofield Chronicle, et je pense que si vous êtes amateur de jeux de stratégie, il peut vous satisfaire même à un prix plein. Pour ceux qui seraient intrigués par son offre qui peut clairement être un point d’entrée dans le genre, préférez plutôt attendre quelques mois que le prix baisse un peu, histoire de gommer le défaut majeur du titre.

Note RPG 2 sur 5
Note testeur 07 sur 10
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Killpower

Salut Marcheur. Décidément, tu es sur une période asiatique en ce moment. 😉 Merci pour ce test qui me fait dire que ce n’est pas un RPG pour moi.

Demoniakor

Merci pour ce test qui confirme tout ce que je pensais du titre.
J’avais apprécié la démo mais ne m’était pas rendu compte du prix de sortie. Je fais donc partie de ces joueurs qui attendront patiemment une petite promo.

Demoniakor

Absolument ^^

Demoniakor

Petite et surtout surprenante, huhu. C’est par totale chance d’avoir vu un post de Killpower sur un forum Steam que je vous ai trouvé. Ca m’a fait chaud au coeur de revoir son blaze et le tien, entre autre ! Un site comme RPGJV me manquait cruellement.