C’est drôle, quand j’étais môme, mon papy me vantait beaucoup les mérites des radios transistor au point de me gaver. Plus tard, j’avais souvent rencontré ce terme au cours de mes études et ça m’avait presque autant gavé. Pourtant, j’étais loin de m’imaginer parler un jour du transistor sur RPGFrance

D’ailleurs, en y réfléchissant, on se dit que le titre de ce dernier rejeton de Supergiant Games, sorti mai 2014, est en fin de compte bien pensé parce qu’il réunit la référence à la portée musicale du terme et en même temps à son caractère scientifique. Et il faut dire que la musique et la science-fiction sont à l’honneur dans Transistor. Ah et le “Action-RPG tactique” (gné ?) aussi. Et les jolies rouquines taciturnes. Et les grosses épées bavardes. Mais pour ceux-là, je ne vois vraiment pas le rapport avec le transistor…     

Supergiant Games, c’est une petite dizaine de passionnés Californiens réunis sous une même bannière depuis 2009 et sont pour la plupart des anciens d’Electronic Arts (ahem, comme quoi le pire peut parfois engendrer le meilleur). Bastion, le premier jeu du studio, a connu un succès critique et commercial fulgurant. Perso, je n’ai pas été aussi conquis que ça, bien que l’ayant plutôt apprécié dans sa globalité. J’avoue avoir eu du mal avec son esthétique trop flashy et ses faux airs de Zelda, son gameplay trop Diablo-like tout en étant dépourvu des subtilités du genre et sa narration “le kid fait ci, le kid fait ça” qui, bien qu’originale, avait tendance à devenir un peu lourde à la longue. Au final, il en ressortait un jeu qui sentait bon la passion mais qui manquait quelque part de maturité. Vous savez quoi ? De la maturité (et de la passion), il y en a désormais à la pelle dans Transistor !  

Transistor, un univers sous haute tension 

Transistor, c’est l’histoire d’une fille qui a perdu sa voix et d’un gars qui a perdu son corps. Le contexte du jeu est la cité futuriste de Cloudbank où la dénommée Red officie en tant que chanteuse à succès. Après la fin d’un de ses concerts, celle-ci subit une attaque de la part d’une bande d’individus mais se voit miraculeusement sauvée par un mystérieux intervenant. Le soucis c’est que les assaillants ont eu recours à une intrigante épée : le Transistor. Étrangement, l’attaque a eu pour effet de priver Red de l’usage de la parole et de transférer l’esprit de son sauveur au sein même de l’arme en question qui devient la propriété de la belle rousse.

Pour ne rien arranger, tout cela coïncide avec la prolifération du Process dans la cité : de curieuses entités cybernétiques vulgairement humanoïdes qui semblent en vouloir à nos deux protagonistes. Quelles sont les motivations des agresseurs ? Quelle est la relation qui unit Red et son sauveur ? Quel est le lien entre le Transistor et le Process ? Et surtout, comment faire en sorte que tout ceci rentre dans l’ordre ?  Hé Red, ça ne va pas être une partie de plaisir…


Le scénario de Transistor joue la carte de l’ambiguïté et du non-dit volontaires un peu à la manière des Dark Souls : le canevas en lui-même semble plutôt basique en apparence mais dévoile ses savoureuses subtilités à travers les éléments de l’histoire éparpillés ça et là. Ainsi, cette histoire n’est pas servie sur un plateau d’argent mais requiert plutôt un certain investissement pour déceler sa richesse, ce qui rend la révélation de celle-ci d’autant plus gratifiante. Je fus convaincu de la qualité de l’histoire lorsque je me suis retrouvé tout ému lors de l’excellente fin du jeu qui, bien qu’elle n’offre pas de choix différents, s’avère dotée d’une satisfaisante poésie.

Ce qui est tout aussi remarquable, c’est que le caractère de l’univers dépeint dans Transistor va de pair avec celui de l’histoire. Cet univers se veut singulier, sophistiqué, non-manichéen et le fait d’embrasser progressivement ses tenants et aboutissants est un réel plaisir. Un peu dans l’esprit des Bioshock, on sera aux premières loges face à la chute de la cité de Cloudbank : une utopie digitalisée et déshumanisée qui en est arrivée à décider de la couleur du ciel et de la météo en fonction de votes populaires. Ainsi, l’univers déployé ici est manifestement le fruit d’une recherche minutieuse et traite en filigrane de thématiques sociales intéressantes comme les notions de l’élitisme et du sectarisme, de la dualité diplomatie/technocratie, du changement sociétal et autres.  

Transistor, une ambiance électrisante

Plus que le mûrissement au niveau du fond dans Transistor, c’est surtout la maîtrise dont il fait preuve du côté de la forme qui s’avère finalement être la plus éclatante. Ainsi, la narration conserve la marque de fabrique du studio en ayant recours aux services du narrateur (le même Logan Cunningham et le même talent déployé) qui intervient au fur et à mesure de la progression, mais l’oriente cette fois-ci vers une toute autre direction. Une meilleure direction. En effet, dans Bastion, le narrateur faisait un peu office d’artifice d’exposition omniscient et extérieur à l’intrigue, et c’était pratiquement l’unique vecteur via lequel appréhender l’histoire et le lore, ce qui pouvait devenir un peu lourdingue sur la longueur.

Ici, non seulement les commentaires du narrateur ponctuent l’aventure de façon plus crédible contextuellement, mais en plus il ne vous noie pas sous d’interminables logorrhées et il ne vous prend pas par la main (quoique, littéralement, il le fait toujours…). Plus que ça, il intervient en tant que personnage à part entière, doté de sa propre personnalité (même si un poil dépressive, mais à sa place comment ne pas l’être ?) et ayant son importance dans la trame, si bien qu’on finit même par s’y attacher. A côté de cela, le narrateur n’a plus le monopole sur la narration puisque celle-ci se veut plus immersive, par le biais de terminaux interactifs à consulter lors de l’exploration, et encore plus originale, via l’incorporation du lore au sein même des descriptions des compétences du personnage. Mais ça, j’y reviendrais.                    


Vous l’aurez compris, les talents de construction de l’univers et de la narration dans Transistor reflètent cette fois une grande virtuosité. En revanche, la dimension artistique de cet univers, elle, côtoie carrément la transcendance ! Visuellement, tout le doigté que le studio a accumulé brille de mille feux ici. Les teintes néon, froides et synthétiques, se mêlent voluptueusement aux lueurs pastel, chaudes et enivrantes. Le contraste qui en résulte est du plus bel effet et l’atmosphère engendrée est tout bonnement ensorcelante. Non, sans déconner, ce jeu est beau à en pleurer des rivières. J’irais même jusqu’à dire qu’il s’agit là d’une des plus belles 2D isométrique jamais vue et croyez-moi, j’en ai vu de toutes les couleurs…

De l’autre côté, la bande sonore concoctée par le talentueux Darren Korb se révèle tout aussi sensationnelle. Les compositions sont en quelque sorte une rencontre entre le Post-Rock à la Radiohead (période OK Computer) et le Trip-Hop de Portishead, et ce croisement est des plus détonantsD’ailleurs, le personnage de Red étant elle-même une chanteuse, la musique est naturellement sur un piédestal tout au long du jeu. On est allés même jusqu’à mettre en place une touche (TAB) à maintenir pour que Red fredonne en accompagnant la musique d’ambiance. Une touche concrètement inutile certes, mais l’attention est tout à fait charmante.                

Transistor, le tube électronique de l’été  

Connaissant le passif de Supergiant Games, il faut avouer qu’on s’attendait un peu à ce que l’esthétique, l’aspect sonore et la narration soient particulièrement soignés. Mais ce qui est le plus surprenant avec Transistor, c’est de découvrir que son gameplay aussi ne manque pas d’originalité et de richesse. Les combats du jeu se déroulent de deux manières différentes mais équitablement viables : un mode “Hack ‘n Slash” où on martèle les quatre touches de la barre de compétences en temps réel, et un mode “Tactique”, qui n’est pas sans rappeler le V.A.T.S. des derniers Fallout (ou encore Frozen Synapse), où vous aurez à planifier un certain nombre d’actions qui s’enchaîneront automatiquement après que vous ayez validé le tour. Du coup, que vous soyez un bourrineur de clics frénétiques ou bien un fin stratège, il y en a pour tous les goûts. 

Encore mieux : Transistor enfonce le clou de la consistance du gameplay avec son impressionnant système de compétences, appelées ici fonctions (en référence au langage de programmation C++). Ainsi, selon l’emplacement dans lequel vous affectez une fonction donnée, celle-ci aura un effet radicalement différent : soit dans un slot actif pour avoir un effet direct, soit dans un ou deux slots modificateurs pour altérer l’effet actif d’une autre fonction ou encore dans un des quatre emplacements passifs pour bénéficier de bonus statistiques. Sachant qu’il y a environ une quinzaine de fonctions différentes (attaques à distance, effets de zone, dégâts sur la durée, invisibilité, contrôle de mobs, invocation, affaiblissement…), le jeu réserve des centaines et des centaines de combinaisons en perspective. Du coup, ajouté à une interface un peu particulière, tout ceci peut paraître un peu accablant aux premiers abords. Mais vous les gobelins, vous êtes des rôlistes affirmés et les stats qui sortent de partout ne devraient pas vous faire peur.        


D’ailleurs, Transistor vous poussera malgré vous à expérimenter, à adopter de nouvelles combinaisons et ainsi s’imprégner des subtilités du gameplay. D’abord parce que si vos points de vie atteignent le zéro, vous perdez l’accès à une de vos fonctions équipées et cela jusqu’au prochain checkpoint (après, si vous perdez toutes les fonctions équipées, c’est la mort pour vous). Ensuite, parce que chaque fonction représente la “trace” d’un personnage du jeu et celle-ci regorge d’informations précieuses à la compréhension de l’histoire. Ainsi, pour débloquer toutes les parties desdites informations, il faut exploiter leurs fonctions sous toutes les coutures. Alors, ceux qui pensaient pouvoir spammer les mêmes attaques surpuissantes encore et encore vont vite déchanter.   

De ce fait, l’aspect RPG, quoique tout de même très limité, s’en sort plus ou moins honorablement par rapport à Bastion. Au fil des combats, Red gagne quand même des niveaux qui lui permettent de débloquer plus de fonctions, plus d’améliorations de personnage (de nouveaux emplacements de fonctions, plus de points de mémoire pour pouvoir équiper davantage de fonctions…) et même des “limiteurs”. Ces derniers serviront à vous imposer des limites et à augmenter la difficulté du jeu en faveur d’un bonus cumulatif d’expérience ainsi que des informations sur les différents ennemis. Le bestiaire n’est pas ultra varié mais chaque ennemi possède ses spécificités (soin, rayon immunisant, aveuglement, interruption, tanking…) et ce sont les combinaisons des mobs qu’on vous balancera à la figure qui amèneront le challenge. Avec tout ça, les ‘coreux qui pourraient se la ramener en accusant Transistor d’être un jeu pour fillettes vont devoir ravaler leur fierté…  


S’il y a une critique (passablement) négative à émettre concernant Transistor, c’est peut-être sa relative linéarité. Dans Bastion, il y avait la notion de hub et d’une carte du monde à explorer (mais il faut se rendre à l’évidence que c’était quand même de la linéarité déguisée) alors que Transistor se fait pratiquement en ligne droite et on ne peut pas dire que ses environnements soient ouverts. Même s’il faut noter que le jeu conserve un bout de cette idée avec le “Bac à sable”, une zone annexe à visiter occasionnellement et qui propose des épreuves en faveur d’un gain d’expérience (et de jolis morceaux à écouter in-game). Pourtant, je vous avouerais que la linéarité ne m’a pas dérangé plus que ça, tant la densité narrative et l’enrobage du jeu constituent une redoutable distraction…

Pareil pour sa durée de vie avoisinant les six heures pour une seule partie. Enfin, sans compter le “new game +” qui, après la fin du jeu, vous propose de recommencer l’aventure avec le même niveau et contre de nouveaux ennemis plus coriaces. Transistor est le genre de jeu avec lequel il faut raisonner en termes d’expérience de jeu et non pas en termes d’heures de jeu. Alors oui, Transistor est assez court, mais l’expérience qu’il propose est intense de bout en bout et il n’abuse à aucun moment de notre hospitalité. Et puis, “un bon croquis vaut mieux qu’un long discours”.

Le transistor est un composant important dans l’histoire de l’électronique parce que sans lui nous vivrions dans un monde à la Fallout, avec des tubes électroniques partout (et peut-être des super mutants, qui sait ?). Eh bien, il faut croire que le Transistor qui intéresse RPGFrance n’a pas usurpé son nom, parce que lui aussi ne manque pas d’importance. Transistor est véritablement la consécration de Supergiant Games : au lieu de se reposer sur ses lauriers et nous livrer un simili-Bastion 2, le studio a puisé toute la quintessence de son précèdent titre et l’a mis au profit de la maturité qu’il avait acquis. Esthétique, mélodieux, intrigant, émouvant, captivant, séduisant, Transistor est un kaléidoscope d’émotions tout aussi orgasmiques les unes que les autres. Et pour une vulgaire quinzaine d’euros, vous auriez (Transis)tort de vous en priver.  

+ Direction artistique prodigieuse
+ Bande son somptueuse
+ Scénario et narration sublimes
+ Univers singulier et recherché
+ Gameplay riche et intelligent

Note RPG 2 sur 5
Note testeur 09 sur 10

– Un poil court
– Un poil linéaire
– Un poil difficile d’accès
– Mais, sérieux, on n’est pas à quelques petits poils près !
-‘fin, sauf pour les poilophobes mais ne les écoutez pas…

La vision de Batman :
Avec Transistor, je suis tombé amoureux. Je suis tombé amoureux du design du jeu, absolument magnifique. L’animation de Red, le personnage principale, est fluide et naturelle. Les effets de lumière sont très réussis, les teintes sont magiques et l’ambiance est des plus envoûtantes. Je suis tombé amoureux de la bande son, qui d’une part est d’excellente qualité, mais également très bien intégrée au jeu. Les variations dynamiques de musique fonctionnement parfaitement, la voix de Red, même quand elle fredonne est magnifique.

Je suis tombé amoureux de son gameplay, un excellent mélange de temps réel et de tour par tour, avec des combinaisons de compétences innombrables et extrêmement riches. Les combats sont très stratégiques, mais le système reste abordable et plus on avance dans le jeu, plus on apprendra à en maîtriser les mécaniques dans les moindres détails. J’aime les cheveux de Red, j’aime sa façon de bouger, sa façon de chanter, sa façon de se battre.

J’aime Transistor. 10/10

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